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 La broche de Monsieur D'ARTAGNAN

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Audrey
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   Posté le 18-05-2006 à 14:31:42   Voir le profil de Audrey (Offline)   Répondre à ce message   http://lepetitmondedaudrey.alloforum.com/   Envoyer un message privé à Audrey   

La broche de Monsieur D'ARTAGNAN

Ola ! Faquin ! Polisson ! Propre à rien ! Vas-tu continuer à l’amuser et fainéanter avec ces vauriens, tandis que les poulets attendent leurs broches ? Je t’apprendrai moi à faire le capitaine quand je te paie pour faire le tournebroche !

Ce monologue était adressé en effet au jeune tournebroche Jeannot , dit Frimousset , par César Loupiac , propriétaire de l’hostellerie de la "Pie Borgne" , sise rue Pied-de-Biche, tout auprès du chemin de Vaugirard.

César Loupiac ne ménageait pas sa peine, il le prouvait présentement en ponctuant sa harangue à son jeune commis de grands coups de pieds placés au bon endroit.

L’aubergiste de la "Pie Borgne" était veuf, Gascon braillard et intéressé, au demeurant le meilleur homme du monde. Son hostellerie était renommée et ses poulets, que l’on pouvait voir tout le jour se pavaner en leurs pourpoints dorés devant un grand feu de bois, étaient son point d’honneur.

Aussi son indignation était-elle bien compréhensible de voir Frimousset déserter la noble mission de faire tourner les broches, au profit d’une bataille livrée à de jeunes garnements de son âge.

Mais la désertion de Frimousset n’était pas moins excusable. L’auberge de la "Pie Borgne" était fréquentée surtout par des officiers, gardes françaises et mousquetaires et à force de les entendre parler de combats, de coups d’épée, de vaillants exploits, l’envie pouvait légitimement lui venir d’imiter leurs prouesses.

Tout était maintenant rentré dans l’ordre. Frimousset , un peu abattu par l’active éloquence de son maître, s’était mis à faire tourner ses broches d’un mouvement lent et régulier, tandis qu’un marmiton les arrosait constamment du jus qui coulait dans la lèchefrite. Trois braves filles frottaient les tables, astiquaient les cuivres, nettoyaient les pichets, préparant tout pour les hôtes attendus pour le dîner.

César Loupiac, ceint de son tablier, coiffé de sa haute toque blanche, allait et venait, surveillant tout et grondant de temps à autre pour montrer, au cas où quelqu’un l’eût oublié, qu’il était le maître.

Venant de la cour de l’hostellerie, car la "Pie Borgne" n’était pas seulement une auberge et une rôtisserie, mais on y logeait à pied et à cheval, ce qui comportait d’assez vastes dépendances, l’oreille exercée de César Loupiac perçut le bruit que font sur le pavé les sabots ferrés d’un cheval.

Il se dirigea de ce côté juste à temps pour voir un cavalier descendre d’un bon bidet dont le garçon d’écurie tenait la bride. Ce cavalier était tout jeune, c’est à peine s’il avait vingt ans. Malgré son habit râpé et son équipage poussiéreux, il avait fière mine. Sa tenue était celle d’un gentilhomme campagnard, une longue épée de forme démodée battait ses bottes.

- Adious, dit-il cordialement à l’aubergiste qui venait à sa rencontre.
- Adious, répondit César Loupiac, heureux de saluer un compatriote, mais en même temps inquiet à la pensée que ledit compatriote ne devait certainement pas avoir la bourse bien garnie.
- Je suis le chevalier d’Artagnan, dit le nouvel arrivant.
- Du château de Castelmore, compléta l’aubergiste. Ah ! J’ai bien connu le comte de Castelmore, votre excellent père.
- Je le sais, dit d’Artagnan, c’est pourquoi, en venant à Paris, je n’ai pas balancé à descendre chez vous.
- Vous y êtes le bienvenu.
- Avez-vous de la place pour nous loger mon cheval et moi ?
- Il y a toujours de la place chez César Loupiac pour un cadet de Gascogne.
- Il me faut peu de chose, mon escarcelle est momentanément un peu plate.


Maître Loupiac fit la grimace. Il s’attendait bien à celle-là :
- On s’arrangera toujours, dit-il pourtant cordial.
- Le comte de Tréville loge-t-il loin d’ici ? Interrogea encore d’Artagnan.
- A deux pas ; je vous y ferai conduire tantôt, à moins qu’il ne vienne céans dîner, ce qu’il fait à son habitude.
- J’en serais bien aise, car j’ai une lettre pour lui.

Pendant cette conversation, qui avait eu lieu dans la cour de l’auberge, le garçon avait dessellé le bidet de d’Artagnan et détaché un porte-manteau d’aspect assez pauvre que Loupiac avait fait monter dans une chambre donnant sur la rue Pied-de-Biche.

D’Artagnan suivit son porte-manteau et avant d’ôter la poussière de son unique habit, il alla s’accouder à la fenêtre.

Il était donc enfin à Paris ! L’avenir était ouvert devant lui. A l’exemple de son royal compatriote, Henri de Navarre , il était décidé à faire son chemin à la pointe de son épée. Tout n’était-il pas possible à un homme de sa race ? "Là où le Français n’arrive, le Gascon y peut aller." Ce vieux dicton fortifiait son courage.

Fils de Charles de Baatz, comte de Castelmore, et de Françoise de Montesquiou, fille elle-même du seigneur d’Artagnan, il avait pris ce nom. Cadet de sa maison, n’ayant pour tout bien que son épée, il avait obtenu licence de ses parents de quitter la Gascogne pour prendre service dans les armées du Roi.

On lui avait fait don, à son départ, d’un bon bidet qui avait été acheté vingt deux francs, ce qui était un prix raisonnable, d’une épée de son père, de sages conseils et même de dix écus. Il avait en outre reçu une lettre pour M. de Tréville présentement capitaine aux Gardes Françaises. Armand de Peyre, comte de Tréville, Gascon du pays de Soule, n’était-il pas la providence de toute la belle jeunesse qui accourait du pays de Gascogne rêvant de gloire et de conquêtes ?

Le voyage de Castelmore à Paris avait été long et fastidieux et les dix écus du viatique familial avaient fondu tout le long de la route. Il fallait à d’Artagnan se hâter d’obtenir un brevet ; sans quoi sa position dans la grande ville deviendrait vite intenable.

Il fut tiré de ses réflexions par des coups discrets frappés à sa porte. C’était l’aubergiste en personne qui venait l’avertir que le comte de Tréville était dans la salle et qu’informé par lui, César Loupiac, de l’arrivée de son jeune compatriote il l’invitait à sa table.

D’Artagnan se hâta. Il débarrassa tant bien que mal ses vêtements de leur lourde poussière, fit reluire d’un revers de manche la poignée de sa vieille épée et, suivant l’hôte, il se trouva bientôt assis en face de M. de Tréville.

Le soir même, il recevait un brevet de cadet aux Gardes-Françaises, et un mois après il était aux armées sous les ordres de son protecteur.


Nous ne raconterons pas la part qu’il prit dans de nombreux combats où il se couvrit de gloire, mais ses services furent si remarquables que lorsqu’il revint à Paris, en 1635, ce fut pour recevoir le brevet de sous-lieutenant dans le corps d’élite des mousquetaires du Roi dont M. de Tréville venait d’être nommé capitaine-lieutenant.

Comment décrire l’orgueilleuse joie de d’Artagnan de compter aux mousquetaires ? Dans aucune troupe l’esprit de corps n’était aussi développé que dans celle-ci, composée à peu près uniquement de jeunes gentilshommes. Y être officier était un honneur recherché par les plus illustres et une distinction enviée par toute l’armée française.

Une semblable promotion devait être célébrée par un souper. D’Artagnan convia donc ses nouveaux camarades. L’endroit choisi était la "Pie Borgne", qui lui rappelait le souvenir de son arrivée à Paris. M. de Tréville ne manquerait pas d’honorer le repas de sa présence et l’acceptation de son premier et fidèle protecteur augmentait encore la joie que se promettait notre Gascon.

Rien n’était changé dans la salle de la "Pie Borgne" quand d’Artagnan fit ce soir-là son entrée. Maître César Loupiac, seulement un peu plus haut en couleur, était toujours aussi bavard et empressé, les servantes aussi accortes. Jeannot dit Frimousset avait été promu marmiton et c’était son plus jeune frère Jacquot qui, maintenant, avait la charge des broches.

Elles étaient toujours là, solides à leurs postes, les bonnes broches de Maître Loupiac, entraînant dans leur danse régulière les belles volailles dodues, dorées et fondantes. Les regarder ainsi tourner augmentait encore l’appétit.

Mais celui qui était changé, c’était d’Artagnan. Son costume râpé était remplacé par la casaque d’uniforme bleue, timbrée, devant et derrière, de la croix fleurdelisée de velours blanc. Son vieux feutre avait fait place à un beau chapeau orné d’une plume bleue bravement posée, et au lieu de l’antique colichemarde, pendait à son côté une solide épée droite que venaient de lui offrir les officiers de la compagnie.

Une longue table était dressée pour d’Artagnan et ses invités, déjà chargée de pichets et de vénérables bouteilles. Tout le monde n’était pas arrivé. On attendait encore M. de Tréville et plusieurs officiers anciens. Pour prendre patience et se mettre, si besoin était, en gaîté, on déboucha quelques bouteilles.

On était bavard et quelque peu bruyant à la table de Messieurs les mousquetaires. La salle était du reste loin d’être vide ; des officiers d’autres régiments soupaient joyeusement. Les rires s’élevaient de temps à autre au milieu du tintement des verres, du cliquetis des couverts et du bruit des bouteilles que l’on débouche.

Escorté de plusieurs gentilshommes le baron de Gaillac fit une entrée remarquée. Loupiac s’empressa auprès de ce client riche et généreux. Mais Gaillac avait vu d’Artagnan, son compatriote et ami, il se précipita vers lui avec de grands gestes démonstratifs qui lui étaient coutumiers et se jeta dans ses bras.

- Tudieu ! Monsieur mon voisin, que tu es bravement accoutré, quand on te verra ainsi au pays on te déclarera beau comme un autel de confrérie.

Quelques rires éclatèrent dans la salle, auxquels Gaillac ne prêta guère attention, tout à la joie de féliciter le nouveau mousquetaire. Avisant la belle rapière neuve qui pendait aux côtés de d’Artagnan il s’écria avec le plus pur accent de Gascogne.

- Et cette flamberge ! Elle est ma foi toute neuve ! Ah ! On fait bien les choses dans la compagnie des mousquetaires du Roi !

- Oui, dit d’Artagnan, fier de sa rapière, comme d’un jouet nouveau. Elle est belle. C’est une lame de Tolède.

Pour la faire admirer à Gaillac, il la tira du fourreau et il ajouta :
- Il vaut mieux être percé d’une épée luisante que d’une épée rouillée...

A une table voisine, un officier de chevau-légers soupait avec une dame, il se pencha comme pour voir, lui aussi, l’épée que l’on admirait et d’un ton détaché :
- Elle est belle, oui. Mais est-elle résistante ? Elle n’a pas fait ses preuves.

D’Artagnan à ces mots bondit :
- Pas fait ses preuves ? Que voulez-vous insinuer, Monsieur ?

Le chevau-léger eut un petit ricanement :
- Je n’insinue jamais, je dis et je répète : Que cette épée n’a pas fait ses preuves.
- Je prétends, répliqua d’Artagnan qui blêmissait de colère, qu’au bout de mon bras, il n’y a pas de lame meilleure que celle-ci.
- J’en connais une qui lui est supérieure, la mienne, c’est une lame allemande qui n’en craint aucune... même celle d’un mousquetaire.

Cette fois, c’en était trop. L’épée haute, le Gascon s’avançait, le chevau-léger mit flamberge au vent. En un tour de main le milieu de la salle avait été débarrassé des tables. Les mousquetaires, les officiers de toutes armes, avaient formé un cercle, les femmes juchées sur des tables ou des tabourets, poussaient de petits cris. Dans un, coin maître Loupiac se désespérait :

- Dans ces affaires-là, il y a toujours des coups mortels... pour la vaisselle.
- Mauvaise affaire, gronda Gaillac soudain calmé, Valcourt, (c’était le nom du chevau-léger) est redoutable.

Frimousset avait lâché la lèchefrite et les broches de Jacquot avaient cessé de tourner.

Les deux adversaires se mesuraient du regard. Ce fut Valcourt qui attaqua. Il porta un coup dans la ligne basse que d’Artagnan para en septime. Maintenant ! Le mousquetaire attaquait. Deux fois il tira droit à la poitrine, les deux fois son épée fut écartée par la lame allemande.

En revenant en garde son pied glissa sur une épluchure de pomme qui traînait à terre. Un frémissement passa parmi les mousquetaires. Valcourt profitant de la circonstance, répétait son attaque du début. Son bras se détendait comme un ressort.

Un bruit sec, sa lame était brisée en deux par la parade de d’Artagnan. La pointe vola, les femmes crièrent, effrayées.

Valcourt était piteux, désarmé au milieu du cercle, pourpre de colère, son tronçon de lame inutile dans la main. Il le jeta.

- Je vous avais prévenu, dit alors d’Artagnan, qu’elle ne valait rien. Vous voyez que la mienne est meilleure.

Saisissant son épée par la lame, il tendit la poignée à son adversaire :
- Essayez-la donc.

Machinalement Valcourt prit la rapière.

- D’Artagnan est fou, murmuraient ses camarades.
Mais tranquillement, le Gascon s’en fut au foyer, arracha une des broches et, armé de cette épée originale, il revint face à Valcourt.

- En garde donc, Monsieur, cria-t-il.

Le chevau-léger n’avait plus qu’à se défendre. Une fois, deux fois, l’épée de Tolède heurta l’instrument de cuisine. D’Artagnan n’attaquait plus, il laissait Valcourt s’approcher, puis, d’un seul coup, il lia l’épée et la fit sauter en l’air.

Un cri d’admiration jaillit de toutes les poitrines. D’Artagnan tenait M. de Valcourt désarmé sous la pointe de sa broche. Il jouit un instant de son deuxième triomphe, puis dit en riant :
- Je pourrais, Monsieur, vous mettre à la broche, mais nous avons notre compte de poulets.

Puis ramassant sa rapière :
- Si l’épée que m’ont offerte mes amis n’a pas ce soir fait ses preuves la faute en est à vous. Tout ce que je puis faire pour vous consoler c’est de vous offrir la broche de maître Loupiac, en souvenir de cette agréable soirée.

Tandis que, rongeant son frein, le chevau-léger retournait à sa table, d’Artagnan allait vers les mousquetaires.

Il se heurta à M. de Tréville, qui était entré pendant l’affaire et qui se tenait debout l’air courroucé :
- M. d’Artagnan, dit-il, vous avez contrevenu aux ordres du Roi en vous battant en duel et aux règlements des mousquetaires en croisant le fer sans ma permission. Je vous mets donc aux arrêts.
Puis, soudain jovial, il embrassa son vaillant protégé :
- Mais pour avoir bien défendu l’honneur des mousquetaires je vous embrasse au nom de la compagnie.

César Loupiac, pendant ce temps, donnait un maître coup de pied dans le postérieur de Jacquot pour avoir arrêté ses broches et gratifiait d’un soufflet le jeune Frimousset qui avait déserté la lèchefrite.

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ThunderLord
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   Posté le 02-06-2006 à 00:44:21   Voir le profil de ThunderLord (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à ThunderLord   

Joli récit, tout à fait à mon gout ! Mais ce passage ne figure pas dans le texte intégral des Trois Mousquetaires de Dumas, que j'ai chez moi. Peux-tu me dire où tu l'as trouvé ?


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ThunderLord ---> Thérapie Hautement Utopique et Normalisée de Démultiplication des Etats Reconnus de Léthargie Ombrageuse Reliée à la Démonologie. ©Audrey
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Audrey
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   Posté le 02-06-2006 à 18:37:21   Voir le profil de Audrey (Offline)   Répondre à ce message   http://lepetitmondedaudrey.alloforum.com/   Envoyer un message privé à Audrey   

Houla, belle question, Thunder ! J'ai trouvé ces écrits sur un site lors de mes périgrinations sur le Net, mais n'ai pas gardé la trace (ce qui me fait réaliser en même temps que je n'ai pas spécifié ma source... pas bien, Audrey, tu m'en feras 100 lignes !!).

J'ai souvenance qu'il s'agissait d'un site sérieux, basé sur des écrits retrouvés, mais c'est tout ce dont je me souviens. Désolée.
Si j'en retrouve la trace, je rectifierais mon oubli et spécifierais ma source dans mon premier post.


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