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A Santiago, la monnaie, c'est le fagot de bois !

Audrey
   Posté le 19-01-2009 ŕ 19:38:37   

Pas d'argent sur le marché de Santiago: la monnaie, c'est le fagot de bois

Le marché de Santiago Tianguistenco, est à une soixantaine de kilomètres seulement de Mexico, capitale moderne de 20 millions d'habitants, mais on y est dans un autre monde : pas de billets, pas de carte de crédit, c'est le règne du troc, avec le fagot de bois pour monnaie.

Tous les mardis, dans ce gros bourg à la population essentiellement rurale et "indienne", les femmes arrivent de la montagne, leurs fagots de bois cassé sur le dos.

"Le marché existait déjà quand j'étais gamine, on y vient chaque semaine pour de la nourriture, des vêtements, pour un tas de petites choses", explique l'une d'elles, qui attend son tour devant un étal de travers de porc rôtis, une spécialité mexicaine. Une douzaine de morceaux de bois pour deux morceaux de viande juteuse...
Un peu plus loin, à l'arrière d'une camionnette, deux morceaux de bois pour une orange, dix pour trois mesures de riz cuisiné ou de ragoût.

A Santiago Tianguistenco, ce mardi-là, le cours du savon de lessive est à 25 morceaux la livre, 50 le kilo de haricots, de sel ou de sucre, 100 le litre d'huile. Les vêtements de seconde main sont à 10 la pièce, les vieilles poupées ou jouets à 5.

Les porteuses de bois, femmes des ethnies locales Nahuatl, Otomi ou Tlahuica, évitent le photographe, et ne veulent pas donner leur nom. "Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Je sais comment ils s'en serviront, après", marmonne l'une d'elles.
"Il y a quatre ans, les policiers sont venus, et ont embarqué tout le monde, 300 personnes d'un coup. Ils les ont accusées de taille de bois clandestine, et c'est pour cela qu'elles ont peur", explique Ernestina Ortiz, du Conseil indigène du troc, l'organisation qui regroupe les usagers du marché.
La taille illégale des arbres, dans les forêts des hauteurs voisines de la capitale, est passible de prison.
"Mais les gens, là-haut, ne taillent pas les arbres vivants, ils récupèrent seulement les branches tombées à terre, le bois sec. Ils vivent de la forêt, c'est certain, mais ils l'entretiennent, ils la nettoient, et ils plantent même des arbres", plaide Ernestina.

Le marché de troc de Santiago est plus ancien que le bourg lui-même, fondé en 1820 : en langue nahuatl, "tianguistenco" signifie "au bord du marché".
"Le troc du bois fait partie de la culture locale. Ces gens-là appartiennent à des communautés très pauvres, et si on ne les laissait pas venir échanger leur bois, ils n'auraient pas de quoi manger", explique encore Ernestina.

Le troc a ses règles, et le bois ses calibres. Les bûchettes doivent être longues de trois paumes de main, larges d'un poing, et il en faut deux pour un "échange". Un fagot de bûches d'un mètre de long, c'est une "charge" : de quoi obtenir la nourriture d'une semaine pour trois personnes.

Le Conseil a conclu un accord tacite avec les autorités, qui ont levé le système de surveillance du marché. Ce qui n'empêche pas quelques policiers de venir à l'occasion prélever leur "mordida", leur "pourboire"...

Sur le marché, les marchands sont plus loquaces que les porteuses de bois : eux ne le coupent pas dans la forêt.
"J'apporte du nopal (feuille épaisse d'un arbuste de la famille des cactus, ndlr), des fèves, des petits poissons frits, et leur bois me sert bien, parce que le gaz coûte très cher. J'échange à mon tour quelques bûchettes contre du sel, du sucre ou de la soupe de pâtes", raconte ainsi Julia Mejia, une commerçante de 62 ans.
Arturo Rosales, un vieil habitué du marché, dit qu'il vient surtout pour "préserver la tradition du troc", avec son bric à brac de vêtements d'occasion, de peluches, savon et autres articles.

(AFP - 19/01/09)