Sujet :

PATERNITE

abeille
   Posté le 16-01-2007 à 10:53:00   

PATERNITE



Le rideau se lève. Salle de séjour confortable.
Un divan, 3 fauteuils, table basse couverte de magazines. Fauteuils disposés n’importe comment. Impression de désordre. Chemise traîne sur un fauteuil. Porte à gauche qui va vers une chambre, porte au fond à gauche qui mène au bureau, porte au fond à droite qui mène au couloir d’entrée.

En scène, un homme d’environ 45 ans. En maillot de corps. Il marche tout en se rasant avec un rasoir à pile, et il chantonne.
Après quelques secondes, retentit la sonnette d’entrée.
L’homme semble surpris. Il regarde sa montre, puis enfile sa chemise, tout en gardant son rasoir à la main Il sort par la porte du fond.
On entend parfaitement 2 voix off.

L’homme
Que désirez vous ?
Le visiteur
Vous êtes Pierre Chambon ?
L’homme
Oui. De quoi s’agit-il ?
Le visiteur
Enfin !!!!!! Il y a longtemps que je te cherche !
A ce moment, un jeune garçon entre dans la salle de séjour. Il est très « moderne », chemise bariolée, cheveux longs avec catogan, grande assurance. Pierre le suit, toujours son rasoir à la main, un peu dépassé.
Pierre

Mais enfin, qu’est-ce que cela signifie ? Qui êtes-vous ? Qui vous a permis cette intrusion chez moi ? C’est inadmissible !
Le Visiteur
Oh !!! doucement, doucement… D’abord tu peux me tutoyer, c’est normal. Bon. Tu veux que je me présente ? Alors allons-y : BONJOUR PAPA !!
Pierre
Mais, Mais… quelle est cette plaisanterie ? Sortez d’ici immédiatement !!
Le visiteur qui s’assied dans un fauteuil
Tu es bien nerveux papa. A ton âge, tu devrais faire attention. Et puis, moi, je tiens à toi puisque je t’ai enfin trouvé !
Pierre qui fait des efforts pour se calmer
Dites-moi, jeune homme, vous sortez d’un asile psychiatrique sans doute. Mais je ne vous veux pas de mal. Calmez-vous !
Le visiteur
Mais c’est à toi de te calmer, Papa. Moi je suis très calme, et très heureux de t’avoir retrouvé.
Pierre
Et si vous tentiez, calmement, d’expliquer votre irruption chez moi ?
Le Visiteur
Chez toi, chez toi… c’est aussi un peu chez moi, non ? Tu es mon père. Tu ne me crois pas ? Bon. Je vais te rafraîchir la mémoire. Te souviens-tu de Madeleine Taillat ? Mais si voyons, un été, à Biarritz…
Pierre, tout d’abord, fait non de la tête. Puis, on sent que des souvenirs remontent à la surface. Il est de plus en plus gêné, mais essaye de faire front.
Je ne comprends rien à ce que vous racontez.
Le visiteur
Allons, allons… Tu n’es jamais allé en vacances à Biarritz ?
Pierre
Si, mais…
Le visiteur
Tu ne te souviens pas avoir rencontré Mademoiselle Madeleine Taillat ?
Pierre
Mais… je ne sais pas… enfin peut-être. Mais quelle importance ?
Le Visiteur
Oh, mais c’est que c’est très important, tu permets !!!! Si tu n’avais pas été à Biarritz et si tu n’avais pas été l’amant de Madeleine Taillat, je n’existerais pas !
Pierre
Mais enfin, c’est ridicule. Ca n’a duré que 15 jours, et après je n’ai pas eu de nouvelles. Si Madeleine avait été enceinte de moi, elle m’aurait écrit ! Ou c’est une erreur, ou c’est une tentative d’entourloupette !
Le visiteur
Bon. Tu te souviens de Biarritz et d’avoir été l’amant de Madeleine Taillat. C’est un point très important. J’ai enregistré notre conversation sur cassette, et si c’est nécessaire, je ferais une recherche en paternité. Avec les moyens modernes, tu seras bien obligé de l’admettre : Tu es mon père.
Pierre
Mais enfin c’est fou, ça ! Tu débarques après 19 ou 20 ans…
Le visiteur
J’ai 19 ans, mon prénom est Alain, et cela se passait donc, avec Maman, il y a 20 ans.
Pierre
Mais en admettant, je dis bien en admettant, que ce soit vrai, pourquoi ne m’aurait-elle pas averti de ce qui lui arrivait ?
Le visiteur, rectifiant
De ce qu’il VOUS arrivait. Mais figure-toi qu’elle l’a fait maintes fois. Toutes ses lettres revenaient avec la mention « n’habite plus à l’adresse indiquée ». Souviens-toi Papa…
Pierre faisant visiblement un effort de mémoire.
Voyons… après mes vacances à Biarritz… ha oui, j’ai dû partir en catastrophe pour Avignon, pour remplacer un collègue qui venait de se tuer au cours d’un accident de la route… Oui… Peut-être n’ai-je pas fait suivre mon courrier…… Après un instant de silence… Ainsi, tu serais le fils de Madeleine ?
Alain
Le fils de Madeleine, c’était sûr depuis ma naissance. Ton fils aussi, c’est maintenant certain.
Pierre
Certain… certain… c’est vite dit ! Moi, je ne l’ai connu que très peu, ta mère,. Je peux même dire que je ne la connais pas du tout. Elle a sans doute connu d’autres hommes à cette époque-là !
Alain
N’insulte pas Maman ! Elle est certaine qu’un seul peut être mon père, et c’est toi !

Pierre
Elle est certaine… mais moi, je n’en sais rien. (il se monte peu à peu) Mais c’est vrai ça ! Tu arrives chez moi, tu me tutoies, tu entres sans y être invité, tu m’appelles Papa, tu ressors des histoires vieilles de près de 20 ans, tu veux me faire endosser une paternité sans aucune preuve…


( A suivre)

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abeille
   Posté le 17-01-2007 à 07:18:27   

Alain
Tu fais une erreur, mon petit papa !
PIERRE
Quelle erreur ?
ALAIN
Tu dis que je veux te faire endosser une paternité ?
PIERRE
Ah, bon. Ce n’est pas ça ? Ouf !! Je suis soulagé !
ALAIN
Non. Ce n’est pas une paternité. C’est 2 paternités. Nous sommes deux jumeaux. Mais tu as de la chance, tu as deux fils très dissemblables. Mon frère Denis est du genre BCBG, très timide... mais je suis certain que tu t’entendras très bien avec lui aussi.
PIERRE
Mais qu’est-ce qui me tombe sur la tête ? Ce n’est pas possible, je rêve… Je vais me réveiller. Pince-moi ! (il tend son bras, Alain le pince)
PIERRE
Aïe ! Mais alors, c’est vrai tout ça ? Je vais devenir fou ! Moi ? Père ? Et de deux jumeaux, pour compléter le tableau… C’est pas possible !! Non, Non !!!!
ALAIN
Hé si ! C’est vrai ! Ta famille s’agrandit. Mais, dis, au fait, ta famille, c’était quoi jusqu’à maintenant ?
PIERRE
Je suis marié, ma femme est chez sa mère depuis 10 jours, et j’ai une fille qui est avec elle.
ALAIN
Quel âge a-t-elle, la soeurette ?
PIERRE
La soeurette ? Ah oui…elle a 15 ans.
ALAIN
Je suis content d’avoir une petite sœur. C’est chouette, elle doit avoir plein de copines !
PIERRE
Je préfère ne pas comprendre ce que tu sous-entends par là !
ALAIN
Oh, dis, c’est à peine si je trouve mon père, et il veut me faire la morale ?
PIERRE
Je ne te fais pas la morale. D’ailleurs, je ne sais pas où j’en suis. Tu ne te rends pas compte ! Que vais-je dire à Caroline, ma femme ? Et à Brigitte, ma fille ? « Ben voilà, dans une autre vie, j’ai eu 2 fils, j’espère que vous vous entendrez bien…» Non, ce n’est pas possible. Caroline est jalouse comme une tigresse, et Brigitte, en fille unique, n’admettra pas… de ne plus l’être. Mais bon sang !!!
(après un moment de réflexion) Tu es certain, il n’y a aucun doute, toi et ton frère, vous êtes mes fils ?
ALAIN
Oh, c’est absolument certain ! Maintenant, si tu veux faire un test ADN, je ne m’y opposerais pas. Je suis sûr de moi. (Un temps)
ALAIN
Elles rentrent quand, ta femme et ta fille ?
PIERRE
Demain dans la matinée. Qu’allons-nous faire ?
ALAIN
Tu sais, je crois que lorsque l’on est embêté, la moins mauvaise solution est toujours de dire la vérité.
PIERRE
Oh mais dis donc, malgré tes apparences, tu es un sage. (un temps) Je n’avais pas envisagé cette solution… (un temps) D’ailleurs, elle est ridicule ta solution. Je ne peux pas leur dire la vérité sans faire basculer d’un seul coup toutes leurs valeurs… Enfin tout ce que leur éducation leur a inculqué... oui…… Enfin, ce n’est pas possible...
ALAIN
Tu as tort. Alors que veux-tu inventer ? Pour l’instant, les faits que tu viens d’apprendre se sont passés avant ton mariage et tu ne savais rien. Donc, on ne peut te faire des griefs. En revanche, si tu tentes d’inventer je ne sais quelle histoire, fatalement la vérité se saura un jour, et là, oui, on pourra te donner tort d’avoir menti.
PIERRE
Tu raisonnes bien… Mais vas parler raison à des femmes…

Pierre et Alain, sont installés dans des fauteuils. Ils semblent réfléchir un long moment, puis
ALAIN

A quoi penses-tu papa ?
PIERRE
Hein ? Ah oui ! Je pensais… A tout ce que j’ai perdu comme allocations familiales pendant toutes ces années… Tu te rends compte, avec 3 enfants… Non, je plaisante, bien sûr..
Tu sais Alain, je suis très heureux d’avoir un fils. Très heureux.
ALAIN
Et pour le prix d’un, tu en as deux ! Parce qu’il ne sera pas plus difficile de dire à ta femme que tu as deux jumeaux qu’un seul fils. Tu devrais te réjouir ! Quand aux allocations familiales, ne regrette rien : nous avons coûté beaucoup plus que ça à Maman.
PIERRE
Evidemment, je le sais bien... Parle-moi de toi. Qu’as-tu fait jusqu'à ce jour ?
ALAIN
Bon, je vais commencer. Après, tu me parleras de toi.
Je suis l’aîné, puisque je suis né le deuxième. Maman nous a élevé seule. Elle ne s’est jamais mariée. Nous habitions d’abord à Auch dans le Gers. Maintenant, nous sommes à Montélimar. Maman est infirmière libérale. Nous avions 10 ans lorsqu’elle nous a parlé de toi. Où vous vous étiez connus, comment elle avait essayé de te contacter sans aucun succès. C’est mon frère Denis, fana d’informatique, qui est arrivé à retrouver ta trace sur internet.
Je crois que sur le plan études, tu n’as pas à rougir de nous. Denis vient d’être admissible à Agro, quand à moi, je fais ma deuxième année de Droit...
Voilà. Nos vies sont encore courtes, il n’y a pas grand-chose dedans. Maintenant parle-moi de toi.
PIERRE
Si ta maman t’a parlé de moi, elle a dû te dire que j’avais fait, moi aussi, des études de droit. Je suis entré dans une Compagnie d’assurances comme Inspecteur divisionnaire, puis Inspecteur Général. Je suis Contrôleur Général, pour tout le Sud-est. Je me suis marié il y 17 ans avec Caroline, et nous avons une fille Brigitte, comme je te l’ai dit.
Voilà les grandes lignes.
Je voudrais que tu me parles de… ta Maman.

( A suivre)


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abeille
   Posté le 18-01-2007 à 06:57:03   

ALAIN
Nous habitons à Montélimar, comme je te l’ai déjà dit. Tu vois, nous ne sommes pas très loin. Nous sommes venus tous les trois en Avignon ce matin. Maman et Denis sont restés à l’hôtel, et c’est moi qui avais la mission de prendre contact avec toi.
Maman, je te l’ai dit, est infirmière. Elle a créé un pool d’infirmières qu’elle dirige.
Alors que décidons-nous ?
PIERRE (après avoir réfléchi un moment et consulté sa montre)
Ecoute, il est 15 heures 30. Tu vas retourner à l’hôtel, moi, j’ai quelques courses à faire. Vous venez ici tous les trois à 18 heures. Nous prendrons l’apéritif ici, et discuterons un peu. Puis je vous emmenerai au restaurant. D’accord ?
ALAIN
OK Papa ! Tu sais, ça me fait plaisir de pouvoir dire Papa. Pendant 5 ans, un Monsieur est venu vivre avec Maman. Il voulait que nous l’appelions Papa, mais Denis et moi n’avons jamais voulu. On l’appelait par son prénom, Roger. Il n’était pas méchant, mais nous le considérions comme un intrus. Maman et lui se sont séparés il y a 4 ans.
Bon . J’y vais. Alors à tout à l’heure, Papa !
PIERRE
A tout à l’heure……Mon fils !!
Alain sort et le rideau tombe.




Le rideau se lève sur le même décor. Mais il n’y a plus l’impression de fouillis du premier acte. Il n’y a plus de magazines sur la table basse, mais des bouteilles d’apéritif, des verres et des amuse-gueule. Les fauteuils sont symétriquement disposés.
Comme au premier acte, Pierre est seul en scène. Il est également en maillot de corps et se rase. Mais sa chemise est soigneusement posée sur le dossier d’une chaise. Il chantonne. Il regarde sa montre, et tout aussitôt, arrête son rasoir électrique qu’il va mettre dans le tiroir d’une commode. Il met sa chemise avec soin. Sort un peigne de sa poche, et va se coiffer devant une glace sur le mur de gauche.
Il vient sur l’avant-scène et parle au public.
PIERRE

J’ai le trac. Avouez que d’apprendre que l’on a deux fils de 18 ans, et qu’ils vont arriver, ça peut faire de l’effet, non ? En tous cas, à moi, oui !! Remarquez, ce qui me fiche le plus le trac, c’est encore Madeleine. Comment est-elle ? Et surtout, surtout, comment va réagir Caroline, demain ? Bon sang ! J’aimerais être plus vieux de 24 heures…
A ce moment-là, on sonne. Avant d’aller ouvrir, Pierre s’adresse encore au public.
Merci, gentil public, de m’avoir tenu compagnie dans ces moments difficiles. Ne me quittez pas… j’y vais.
Pierre sort par la porte du fond pour aller ouvrir.
Pendant que la scène est vide, on entend que dans l’entrée des voix se croisent, et l’on devine que des poignées de mains doivent s’échanger. Quelques secondes après, entrent successivement, Madeleine Taillat, Alain, Denis, puis Pierre.
Madeleine est un femme agréable mince, vêtue d’un tailleur chic vert clair. Les deux jumeaux sont assez différents, en particulier sur le plan vestimentaire. Alain, en décontracté, Denis très BCBG avec un complet et une cravate.



PIERRE
Asseyez-vous, asseyez-vous. (Les jumeaux se mettent sur le divan, Madeleine et Pierre sur des fauteuils).
Je ne vous cache pas ma profonde émotion de me trouver en présence de deux grands garçons qui semblent être mes fils, et de toi, Madeleine… qui, entre parenthèse, est encore plus charmante que dans mes souvenirs.
MADELEINE
Je t’en prie. Ne te crois pas obligé de me faire des compliments.
PIERRE
Ce ne sont pas des compliments. Je pense réellement que tu es magnifique……… De plus, mets-toi à ma place. Ce n’est pas facile de trouver quelque chose d’original à dire quand on se trouve dans une situation totalement inattendue. Toi, Madeleine, tu connais l’existence de tes 2 enfants depuis leur naissance, et il y a sans doute quelques jours que vous avez retrouvé ma trace. Moi, tout à coup, je me trouve en présence d’une… amie que je n’avais pas vue depuis près de 20 ans, et de deux grands garçons qui seraient mes fils…
MADELEINE
Qui seraient ?... Tu n’en es pas encore certain. Pourtant, je puis t’en donner l’assurance. Tu es leur père, sans aucune contestation possible.
Je crois qu’Alain te l’a dit. Quand j’ai su que j’étais enceinte, j’ai essayé de t’en avertir, mais toutes mes lettres me revenaient.
PIERRE
Alain a dû te le dire aussi. C’est un effroyable concours de circonstances malheureuses. Dès mon retour de Biarritz, ma direction m’a demandé de me rendre immédiatement en Avignon, ou l’un de mes collègues venait de décéder dans un accident de la route. J’ai omis de faire suivre mon courrier, qui d’ailleurs, en dehors de celui de ma Compagnie d’Assurances était presque inexistant.
Quand à ces enfants, j’ai en effet tout lieu de croire qu’ils sont les miens. Intelligence, prestance, tact, et malgré toutes ces qualités, ils ne semblent pas avoir la grosse tête. C’est tout moi,ça ! (il rit) Et puis Alain fait du droit… comme moi. Nous avons les mêmes gènes.
DENIS
Hé bien !! Si nous avons les mêmes gènes, ça ne nous promet pas beaucoup de plaisir…
PIERRE
Bien, Petit, bien. Tu as bien mérité un petit verre d’apéritif. Servez-vous les enfants. Et toi, Madeleine, que veux-tu ?
MADELEINE
Pour rester dans le classique, je te répondrais : « un doigt de porto »…
Bon. Redevenons sérieux. Toi, tu aurais pu m’écrire…
PIERRE
C’est vrai. J’aurais pu t’écrire. Je ne l’ai pas fait. Je dois te l’avouer, 15 jours après mon arrivée en Avignon, j’ai fait la connaissance de Caroline, avec laquelle je me suis marié 2 ans plus tard... Toujours, un concours de circonstances qui nous étaient contraires.
MADELEINE
As-tu l’intention de dire à ta femme que tu as deux fils ?
PIERRE
Je pense que c’est inévitable, mais je ne te cache pas que ses réactions sont pour moi imprévisibles.

( A suivre)



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abeille
   Posté le 19-01-2007 à 07:35:46   

ALAIN
Tu sais papa, si tu veux que j’entre en contact avec elle pour le lui apprendre, je peux le faire. Pour te rendre service, je le ferais volontiers. Tu as vu ? Je me suis bien débrouillé pour venir me présenter à toi, hein ?
PIERRE
Tu es un chic garçon, Alain. Et tout plein de culot. Mais c’est à moi de parler à Caroline… puis à Brigitte.
DENIS
Je dois dire que la pensée d’avoir une sœur m’est très agréable. Peux-tu nous faire voir des photos ?

PIERRE
Oui, bien sûr. (il se lève, va prendre un album photo dans le tiroir d’une commode, et le tend aux deux frères assis côte à côte sur le divan. Pendant qu’ils feuillettent l’album, Pierre va discuter avec Madeleine.)
MADELEINE
Tu sais, Pierre, je me rends parfaitement compte de la difficulté de ta situation.
Mon intention n’est pas de te compliquer les choses.
Denis a retrouvé ta trace. J’ai pensé qu’il était normal que tu connaisses l’existence de tes deux fils. Je sais qu’ils sont heureux d’avoir désormais un père, mais tu es libre d’agir comme tu l’entends.
PIERRE
Madeleine, tu es une femme formidable, et j’apprécie fortement ton attitude. Mais je ne te le cache pas, je suis très heureux d’avoir deux fils, et il n’est pas question que je les ignore, ni même que je ne les vois que dans la clandestinité. Ils sont mes fils, et ils le seront en plein jour.
Bien entendu, cela va me poser de gros problèmes avec Caroline et même, dans un premier temps avec Brigitte, mais il n’est pas question que je me dérobe à mes devoirs de père. Par la force des choses, je n’ai pu les élever (ce que tu sembles avoir bien fait, entre parenthèses), mais j’entends bien rattrapper le temps perdu.
MADELEINE
Je ne connais pas Caroline, et je n’ai pas de conseil à te donner. Mais si j’étais à sa place, je crois que j’aimerais être mise au courant très franchement, sans finesse ni précaution, par mon mari.
PIERRE
Je pense que c’est ce que je vais faire, dès demain matin.
A ce moment-là, Denis l’appelle :
DENIS
Papa !
Pierre est perdu dans ses pensées, et Denis répète.
Papa !
PIERRE
Oui ? Ha ! Excuse-moi. Je ne suis pas habitué à être appelé Papa par une voix masculine ! Que veux-tu ?
DENIS
Ta femme me semble très sympathique. As-tu l’intention de nous présenter à elle ?

PIERRE
Certainement. Mais il faut me laisser le temps de trouver une formule.

ALAIN
Moi je te propose d’attendre son anniversaire, et de lui dire :
« Chérie, je voulais cette année te faire un cadeau vraiment exceptionnel. Un cadeau que personne d’autre que moi ne pourrait te faire. Qui sorte de l’ordinaire. Jusqu’à maintenant, tu as eu du 5 de chez Chanel, un carré Hermès, c’est d’un ringard !!! Même le string que t’a offert ta fille l’année dernière, c’est d’un commun !!! Non. Rien de tout cela ! Voilà. Je t’offre mes deux grand fils, et à partir de ce jour, tu seras leur belle mère adorée »
DENIS
Non Alain. Tu es trop brutal. C’est à une femme que Papa va s’adresser. Il faudrait présenter les choses autrement. D’une façon plus douce, en faisant jouer les sentiments. Par exemple :
« Caroline, je sais que tu souffres de n’avoir qu’une fille unique. Ne dis pas le contraire. Je le sais. Tu en souffres. A nos âges, c’est évident, il est difficile de remédier à cet état de fait. Mais je veux faire quelque chose de merveilleux pour toi.
Bien sûr, nous pourrions adopter un garçon. Mais ce n’est pas l’idéal. On ne sait pas le plus souvent d’où ils sortent ces gosses. Non ce n’est pas la solution. Il faut trouver autre chose. J’ai une petite idée, j’espère qu’elle te plaira. Voilà. Il se trouve que je viens de retrouver 2 fils. Non, non, je t’assure, j’ignorais que je les avais. Alors je te propose de te les présenter, et tu seras la belle mère de deux magnifiques garçons de 18 ans. Heureuse ? «
PIERRE
Merci les enfants pour vos précieux conseils. J’apprécie votre humour. Mais soyons sérieux. ……Je vais sans doute adopter une attitude moins guillerette. Car, voyez vous, je connais bien Caroline, et je sais que son amour propre va énormément souffrir.
Je vous demande de prolonger votre séjour ici jusqu'à demain soir. Je m’engage à vous téléphoner à votre hôtel demain après-midi. Franchement, je ne sais pas comment je vais aborder le problème avec Caroline. Ce sera fonction de l’ambiance. Mais ce que je sais, c’est que dès son arrivée, je lui parlerai et que je vous tiendrai au courant. Un peu de patience, faîtes-moi confiance. Et en tout état de cause, maintenant que je sais votre existence, rien ne me séparera de vous.
Si vous le voulez bien, maintenant, je vous emmène au restaurant.
(Ils se lèvent tous les trois, sortent de la pièce pendant que le rideau tombe)


Le rideau se lève sur la même pièce. Seul changement, les apéritifs et les verres ont disparu, et au milieu de la table basse, un énorme bouquet de fleurs, de dimension peut être un peu exagérée… Pierre est habillé « en ville », très élégant. Mais il est fébrile, redresse un cadre qui était parfaitement droit, déplace un peu le bouquet de fleurs, et penche la tête sur le côté pour mieux juger de l’effet. Enfin on le sent très nerveux. A plusieurs reprises, il regarde sa montre et vient sur l’avant-scène pour s’adresser au public.
J’ai un sacré trac. Caroline et Brigitte sont en automobile. Elles devraient déjà être là. Comme je voudrais être déjà à ce soir !!
(On entend des bruits dans le couloir d’entrée et des voix)
PIERRE

Aïe, aïe, aïe, les voilà ! Ne soyez pas vaches, gentils spectateurs ! Soutenez-moi !!!!! Si vous me voyez gêné, applaudissez bien fort pour me laisser le temps de réfléchir. D’accord ? Merci !
Caroline qui poursuit une conversation avec Brigitte entre dans la pièce, et ils s’embrassent tous les trois, avec les formules de retrouvailles habituelles.
BRIGITTE

Vous savez, je vous l’ai dit, c’est aujourd’hui l’anniversaire de ma copine Roxane. Elle m’a invité pour le déjeuner, il est 11 heures, je peux y aller ?
PIERRE (que cela arrange)
Mais bien sûr, ma fille, vas, vas ! As-tu prévu un cadeau pour Roxane ?
BRIGITTE
Bien sûr, Papa ! Je sais vivre ! Ne t’inquiète pas !
CAROLINE
Bon, vas-y. Mais surtout ne rentre pas trop tard !
Brigitte sort.
Et CAROLINE s’adresse à Pierre.

Je me demande si nous ne lui laissons pas trop de liberté. Il est difficile de trouver le juste milieu. Je te trouve un peu laxiste avec Brigitte.
PIERRE
Mais non, mais non. Il faut être de son temps.
Caroline regarde longuement Pierre.
CAROLINE

Mais c’est bizarre, tu as quelque chose de changé. Tu n’es pas malade ?
PIERRE
Non, non, je me porte très bien. Mais j’ai quelques ennuis...
CAROLINE
Professionnels ?
PIERRE
Non. Pas professionnels. Ils nous concernent !
CAROLINE inquiète
Tu ne m’aimes plus ? Il y a une autre femme ?
PIERRE
Allons, calme-toi. Il n’y a rien de dramatique. Ecoute-moi calmement. Asseyons-nous. (ce qu’ils font)
Voilà. Il y a une vingtaine d’années, j’étais allé en vacances à Biarritz. J’ai rencontré une femme…
CAROLINE (le coupant)
Et vous vous êtes revus, et vous êtes retombés dans les bras l’un de l’autre…
PIERRE
Et si tu me laissais parler ? Et si tu m’écoutais calmement, sans m’interrompre ?
Donc, pendant ces vacances à Biarritz, j’ai rencontré une jeune femme, et nous avons eu une aventure de vacances.
CAROLINE
Et vous vous êtes revus. Ne me dis pas le contraire !
PIERRE
Ce que je te dis, c’est que tu commences à m’énerver !!!! Ecoute jusqu’au bout, après tu parleras !
Les vacances terminées, nous sommes repartis chacun de notre côté, et nous n’avons plus eu de nouvelles l’un de l’autre.
CAROLINE
Tu vois ? Je ne dis rien. Je t’écoute.
PIERRE
Oui. Hé bien continue.
L’autre jour on sonne à la porte...
CAROLINE
C’était elle !

( A suivre)

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ThunderLord
   Posté le 04-02-2007 à 16:17:55   

Ca commence bien !

Effectivement, j'apprécie beaucoup tes pièces, Abeille, et j'ai hâte de lire la suite !