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[g]Fauchés dans la fleur de l\'âge par la guerre, par le froid et par l\'épuisement, la plupart de ces soldats n\'avaient guère plus de 20 ans. Parmi eux, il y avait même des gamins de 15 printemps, d\'intrépides batteurs de tambour.[/g] Le XIXe siècle était jeune encore.
[i]"Il neigeait… Pour la première fois, l\'aigle baissait la tête. Sombres jours !"[/i] s\'écrie Victor Hugo. [i]"Laissant derrière lui brûler Moscou fumant",[/i] Napoléon quitte ses hommes épuisés à Vilnius, capitale de l\'ex-grand-duché de Lituanie, alors captif de l\'empire des tsars. Six mois plus tôt, l\'empereur français et sa Grande Armée y étaient accueillis en libérateurs.
[centre][img]http://img292.imageshack.us/img292/5087/retraiterussieqh9.jpg[/img]
[i]La retraite de Russie par Adolph Northern[/i][/centre]
[g]En novembre 2001, à Vilnius, les excavateurs préparant la pose de câbles et de canalisations s\'arrêtent brutalement de creuser...[/g] à 8 mètres de profondeur, ce n\'est plus de la terre qu\'ils déblaient, mais des ossements, des crânes clairement identifiables, des fémurs, des tibias… La police boucle le site.
La ville se perd en conjectures. S\'agit-il de victimes de l\'occupation nazie ? Ou encore celles du KGB (tels les quelque 700 partisans lituaniens en lutte contre l\'occupant soviétique, exécutés pour la plupart entre 1944 et 1947 et retrouvés en 1994) ?
Il en reste des milliers à mettre au jour. Une rumeur fugace évoque les morts de la grande peste qui a ravagé la ville au milieu du XVIIe siècle...
[g][#0000ff]Un charnier de 1700 hommes et femmes au minimum[/#][/g]
Bientôt, à mesure que l\'on exhume les squelettes entassés par couches successives, apparaissent des fragments de tissu, des boutons d\'uniforme portant le numéro d\'un régiment, et même une pièce de monnaie intacte frappée du profil napoléonien.
[i]"A la mi-novembre, il est devenu évident que ces restes humains étaient ceux des soldats de l\'Armée française impériale parvenus ici en décembre 1812, lors de la retraite de Russie",[/i] souligne Rimantas Jankauskas, anthropologue à la faculté de médecine de l\'université de Vilnius, qui a dirigé les fouilles au sortir de l\'hiver avec l\'aide d\'Olivier Dutour, l\'un de ses pairs venu de Marseille.
A ce jour, c\'est la première fois qu\'un tel charnier est découvert.
[i]"Il compte un minimum de 1 700 hommes, dont 5 seulement ont passé la cinquantaine, sans doute de haut gradés, et 27 femmes - les cantinières, précise Jankauskas. Sans oublier la carcasse de 5 ou 6 chevaux."[/i]
Ses relevés démontrent que la taille des gardes impériaux était d\'au moins 1,84 mètre, des géants pour l\'époque.
[g]Pêle-mêle, les cadavres des officiers et des sans-grade ont été jetés dans des tranchées défensives creusées l\'été précédent à Vilnius, durant la marche vers Moscou.[/g]
[g][#0000ff]Des pertes effroyables[/#][/g]
[g]Forte de quelque 500 000 hommes, les meilleurs guerriers d\'une vingtaine de nations européennes, de 90 000 chevaux, 1 200 "bouches à feu", la Grande Armée se croyait encore invincible lorsqu\'elle passa le Niemen en juin 1812.[/g]
Au retour, elle avait perdu plus 90% de ses effectifs, sous les effets conjugués des pénuries d\'eau et de ravitaillement, des épidémies et des batailles [i](rares, car l\'adversaire se dérobe, mais meurtrières de part et d\'autre).[/i]
Au sortir de la Berezina, en ce terrible hiver, les températures s\'effondrent à - 30 degrés. Les doigts se collent à l\'acier des armes, les pieds gèlent, la glace soude les paupières. Sans abri, c\'est la mort assurée. Certains se jettent dans les maigres feux de bivouacs. La faim au ventre, on dépèce les chevaux vivants.
[g]Les Cosaques sur les talons, 40 000 à 50 000 survivants espéraient Vilnius comme le salut. Nombre d\'entre eux y trouvèrent un tombeau...[/g]
Dans un monastère, un hôpital de campagne fut établi à la hâte. Robert Wilson, observateur militaire britannique auprès de l\'état-major russe, en laissa une description apocalyptique : [i]"7 500 cadavres étaient entassés les uns sur les autres dans les couloirs […] les fenêtres cassées et les murs étaient colmatés par des membres amputés, des pieds, des mains, des torses ou des têtes"... [/i]
[g][#0000ff]La dernière demeure des soldats de la Grande Armée[/#][/g]
Dans une salle de cours de la fac de médecine, des dizaines de sachets funéraires blancs contiennent les dépouilles de ces grognards de l\'Empire. Des centaines d\'autres attendent dans une chapelle leur ultime sépulture. A cette fin, Arturas Zuokas, le maire de Vilnius, a suggéré le cimetière d\'Antakalnis [i](le plus prestigieux de toute la Lituanie, où reposent artistes, grands hommes et défenseurs de la patrie).[/i]
Avec douceur, Rimantas Jankauskas manipule les ossements, montre la trace des fractures, les déformations dues à l\'équipement ou encore à la syphilis chronique dont souffraient nombre de soldats. Manipulant des mâchoires, il montre la béance des caries (jamais soignées) et l\'encoche créée par la pipe qu\'un soldat de 20 ans mordait de toutes ses forces.
La Lituanie a gardé vivace le souvenir d\'un général corse, maître d\'une bonne partie de l\'Europe, qui se voulait l\'héritier des Lumières. Bien avant qu\'il ne pose le pied sur la terre lituanienne, elle l\'attendait : [i]"A cette époque, seul Napoléon aurait pu nous libérer de l\'empire russe, estime l\'historien Virgilius Pugaciauskas. Déjà en 1807, l\'aristocratie lituanienne lui avait envoyé une délégation à Tilsit, l\'invitant à venir ici."[/i]
Durant les dix-neuf jours qu\'il passa à Vilnius en juin 1812, l\'homme providentiel s\'était gardé de restaurer un Etat lituanien indépendant. Plutôt réticent à cette idée, il plaça l\'un de ses généraux à la tête d\'un gouvernement provisoire.
[i]"Mais il avait procédé de la même façon en Pologne avant de reconstituer le grand-duché de Varsovie, et l\'élite, ici, espérait qu\'il agirait à l\'identique."[/i]
Des rumeurs annonçaient que l\'empereur français abolirait le servage [i](ce que redoutait par-dessus tout le tsar de toutes les Russies)[/i] et appliquerait son fameux Code civil. Hélas ! L\'expédition a tourné au désastre !
Certes, [i]"il neigeait, il neigeait toujours",[/i] répète en leitmotiv Victor Hugo, mais le stratège a péché par [i]"méconnaissance de l\'ennemi",[/i] affirme Virgilius Pugaciauskas.
Et il n\'est resté à la Lituanie que la trace mythique d\'un immense espoir, et une dizaine de chênes sous lesquels le "libérateur" aurait passé la nuit. Sur place sont demeurés quelques dizaines de Français qui ont fait souche, lorsqu\'ils ont pu échapper aux Cosaques.');"> Revenons maintenant en arrière...
Fauchés dans la fleur de l'âge par la guerre, par le froid et par l'épuisement, la plupart de ces soldats n'avaient guère plus de 20 ans. Parmi eux, il y avait même des gamins de 15 printemps, d'intrépides batteurs de tambour. Le XIXe siècle était jeune encore.
"Il neigeait… Pour la première fois, l'aigle baissait la tête. Sombres jours !" s'écrie Victor Hugo. "Laissant derrière lui brûler Moscou fumant", Napoléon quitte ses hommes épuisés à Vilnius, capitale de l'ex-grand-duché de Lituanie, alors captif de l'empire des tsars. Six mois plus tôt, l'empereur français et sa Grande Armée y étaient accueillis en libérateurs.
La retraite de Russie par Adolph Northern
En novembre 2001, à Vilnius, les excavateurs préparant la pose de câbles et de canalisations s'arrêtent brutalement de creuser... à 8 mètres de profondeur, ce n'est plus de la terre qu'ils déblaient, mais des ossements, des crânes clairement identifiables, des fémurs, des tibias… La police boucle le site.
La ville se perd en conjectures. S'agit-il de victimes de l'occupation nazie ? Ou encore celles du KGB (tels les quelque 700 partisans lituaniens en lutte contre l'occupant soviétique, exécutés pour la plupart entre 1944 et 1947 et retrouvés en 1994) ?
Il en reste des milliers à mettre au jour. Une rumeur fugace évoque les morts de la grande peste qui a ravagé la ville au milieu du XVIIe siècle...
Un charnier de 1700 hommes et femmes au minimum
Bientôt, à mesure que l'on exhume les squelettes entassés par couches successives, apparaissent des fragments de tissu, des boutons d'uniforme portant le numéro d'un régiment, et même une pièce de monnaie intacte frappée du profil napoléonien.
"A la mi-novembre, il est devenu évident que ces restes humains étaient ceux des soldats de l'Armée française impériale parvenus ici en décembre 1812, lors de la retraite de Russie", souligne Rimantas Jankauskas, anthropologue à la faculté de médecine de l'université de Vilnius, qui a dirigé les fouilles au sortir de l'hiver avec l'aide d'Olivier Dutour, l'un de ses pairs venu de Marseille.
A ce jour, c'est la première fois qu'un tel charnier est découvert.
"Il compte un minimum de 1 700 hommes, dont 5 seulement ont passé la cinquantaine, sans doute de haut gradés, et 27 femmes - les cantinières, précise Jankauskas. Sans oublier la carcasse de 5 ou 6 chevaux."
Ses relevés démontrent que la taille des gardes impériaux était d'au moins 1,84 mètre, des géants pour l'époque.
Pêle-mêle, les cadavres des officiers et des sans-grade ont été jetés dans des tranchées défensives creusées l'été précédent à Vilnius, durant la marche vers Moscou.
Des pertes effroyables
Forte de quelque 500 000 hommes, les meilleurs guerriers d'une vingtaine de nations européennes, de 90 000 chevaux, 1 200 "bouches à feu", la Grande Armée se croyait encore invincible lorsqu'elle passa le Niemen en juin 1812.
Au retour, elle avait perdu plus 90% de ses effectifs, sous les effets conjugués des pénuries d'eau et de ravitaillement, des épidémies et des batailles (rares, car l'adversaire se dérobe, mais meurtrières de part et d'autre).
Au sortir de la Berezina, en ce terrible hiver, les températures s'effondrent à - 30 degrés. Les doigts se collent à l'acier des armes, les pieds gèlent, la glace soude les paupières. Sans abri, c'est la mort assurée. Certains se jettent dans les maigres feux de bivouacs. La faim au ventre, on dépèce les chevaux vivants.
Les Cosaques sur les talons, 40 000 à 50 000 survivants espéraient Vilnius comme le salut. Nombre d'entre eux y trouvèrent un tombeau...
Dans un monastère, un hôpital de campagne fut établi à la hâte. Robert Wilson, observateur militaire britannique auprès de l'état-major russe, en laissa une description apocalyptique : "7 500 cadavres étaient entassés les uns sur les autres dans les couloirs […] les fenêtres cassées et les murs étaient colmatés par des membres amputés, des pieds, des mains, des torses ou des têtes"...
La dernière demeure des soldats de la Grande Armée
Dans une salle de cours de la fac de médecine, des dizaines de sachets funéraires blancs contiennent les dépouilles de ces grognards de l'Empire. Des centaines d'autres attendent dans une chapelle leur ultime sépulture. A cette fin, Arturas Zuokas, le maire de Vilnius, a suggéré le cimetière d'Antakalnis (le plus prestigieux de toute la Lituanie, où reposent artistes, grands hommes et défenseurs de la patrie).
Avec douceur, Rimantas Jankauskas manipule les ossements, montre la trace des fractures, les déformations dues à l'équipement ou encore à la syphilis chronique dont souffraient nombre de soldats. Manipulant des mâchoires, il montre la béance des caries (jamais soignées) et l'encoche créée par la pipe qu'un soldat de 20 ans mordait de toutes ses forces.
La Lituanie a gardé vivace le souvenir d'un général corse, maître d'une bonne partie de l'Europe, qui se voulait l'héritier des Lumières. Bien avant qu'il ne pose le pied sur la terre lituanienne, elle l'attendait : "A cette époque, seul Napoléon aurait pu nous libérer de l'empire russe, estime l'historien Virgilius Pugaciauskas. Déjà en 1807, l'aristocratie lituanienne lui avait envoyé une délégation à Tilsit, l'invitant à venir ici."
Durant les dix-neuf jours qu'il passa à Vilnius en juin 1812, l'homme providentiel s'était gardé de restaurer un Etat lituanien indépendant. Plutôt réticent à cette idée, il plaça l'un de ses généraux à la tête d'un gouvernement provisoire.
"Mais il avait procédé de la même façon en Pologne avant de reconstituer le grand-duché de Varsovie, et l'élite, ici, espérait qu'il agirait à l'identique."
Des rumeurs annonçaient que l'empereur français abolirait le servage (ce que redoutait par-dessus tout le tsar de toutes les Russies) et appliquerait son fameux Code civil. Hélas ! L'expédition a tourné au désastre !
Certes, "il neigeait, il neigeait toujours", répète en leitmotiv Victor Hugo, mais le stratège a péché par "méconnaissance de l'ennemi", affirme Virgilius Pugaciauskas.
Et il n'est resté à la Lituanie que la trace mythique d'un immense espoir, et une dizaine de chênes sous lesquels le "libérateur" aurait passé la nuit. Sur place sont demeurés quelques dizaines de Français qui ont fait souche, lorsqu'ils ont pu échapper aux Cosaques.
Audrey |