Le Petit Monde d'Audrey
 
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Audrey
Pierma a écrit :

Il indique aussi que cette tragédie a été cachée aux journaux.

Ceci expliquant certainement le fait que son nom n'évoquait rien chez la plupart d'entre nous...

Une fois de plus, vouloir tenir haut le moral des troupes (si cela était encore possible en 1916...) a poussé à faire taire les journaux (pas difficiles d'ailleurs, puisqu'ils étaient très censurés à l'époque).
Pierma
Audrey a écrit :

- et http://chtimiste.com/batailles1418/combats/tavannes.htm qui, lui, traite du quotidien des soldats dans ce tunnel ...et du drame du 4 septembre 1916.

Les détails sur le quotidien sont encore plus sordides que ce que j'imaginais.

Les soldats qui y séjournaient plusieurs jours attrapaient une maladie connue sous le nom de "jaunisse des vidangeurs."

Et pourtant ils se trouvaient mieux là qu'en première ligne : au moins on pouvait dormir.

Ce témoin donne le chiffre de 1000 morts, et indique que l'incendie a eu lieu aux deux bouts : les soldats fuyant l'incendie ont renversé d'autres munitions.

Il indique aussi que cette tragédie a été cachée aux journaux.
Audrey
Merci, Pierma.
Et merci également pour la carte, qui permet de mieux situer ces différents évènements de la "Der des Der".

J'ignorais la tragédie du tunnel ferroviaire de Tavannes.
Encore une fois, on apprend bien des choses en lisant tes posts, Pierma. Merci.

-----------------------------------

Curiosité oblige, je suis allée fouiner sur le Net pour trouver quelques infos sur ce fameux tunnel de Tavannes.
Voici donc le résultat de mes petites recherches :
- http://www.fortiff.be/iff/index.php?p=1483 (site qui répertorie tout ce qui a trait aux fortifications françaises de 1874 à 1914) : traite avant tout du site
- et http://chtimiste.com/batailles1418/combats/tavannes.htm qui, lui, traite du quotidien des soldats dans ce tunnel ...et du drame du 4 septembre 1916.


Edité le 03-01-2009 à 00:05:58 par Audrey


Pierma
24 octobre 1916 - Reprise de Douaumont


La bataille de Verdun se termine par une victoire française indiscutable.



Le champ de bataille, avec la partie reprise le 24 octobre.


(J'ai enfin trouvé une carte. 5 km environ entre Verdun et Douaumont. Repérer le tracé de la Meuse, qui coule du Sud vers le Nord et traverse la ville. D'où le découpage du champ de bataille en deux parties. Je n'ai raconté que les événements de la rive droite, la plus connue, mais l'assaut allemand sur la rive gauche a été tout aussi sanglant. Par contre les Allemands y sont restés bloqués plus loin de la ville.)

Des centaines de milliers d'obus étaient tombés sur le fort de Douaumont. Le sommet était une surface grise, tourmentée. Sur les photos d'avion, le contour hexagonal n'apparaissait que comme une ombre de cité enfouie, et pourtant l'intérieur était intact.

Les Allemands avaient très bien organisé leur conquête. Ordre, propreté, éclairage assuré par des lampes électriques à réflecteur. Les lits étaient correctement alignés, avec des couvertures propres. Le téléphone fonctionnait, les appareils à oxygène contre les gazs étaient régulièrement entretenus.

Tout cela est vrai, mais n'empêche pas que Verdun soit Verdun, où tout abri protégé des obus est immédiatement utilisé pour couvrir les hommes et stocker des munitions. Promiscuité, entassement, munitions : l'explosion d'un stock de grenades dans une galerie du fort tue au début octobre 700 fantassins allemands entassés là.

C'est l'écho d'un drame épouvantable côté français, en septembre : l'endroit le plus tranquille du champ de bataille, l'intérieur du tunnel - ferroviaire - de Tavannes, qui passait sous une colline, s'est enflammé suite à l'explosion d'une caisse de grenade. L'intérieur du tunnel, transformé en lance-flammes par l'appel d'air de l'incendie, a brûlé 3 jours, faisant au moins 600 victimes prises au piège ou intoxiquées par la chaleur et les fumées. (Le dégagement des restes attendra : dans le film "La vie et rien d'autre" avec Philippe Noiret et Sabine Azéma, on voit ce travail dangereux se poursuivre après la guerre. Mourir à Verdun en 1919... )

A Douaumont, depuis le 21 octobre, les communications avec l'extérieur devenaient difficiles, à cause du bombardement français qui ne cessait pas. Mais les réserves de nourritures étaient abondantes et la voute du fort - 2m50 de béton armé - résistait parfaitement.

Au matin du 23, la violence du tir augmenta. Toute sortie devint impossible. A mesure que le temps passait, les hommes regardaient les voutes au dessus d'eux avec inquiétude. Ils se disaient : "ça ne peut pas devenir plus fort que maintenant" et pourtant 5 mn plus tard le tonnerre et les ébranlements avaient augmenté.

Le premier choc effrayant se produisit à 12h30. Pendant deux secondes, le bruit de l'artillerie fut couvert par une sorte de hurlement enroué descendant du ciel. Il y eut ensuite comme un petit éclatement, puis un bruit sourd. Puis, une fraction de secondes plus tard, un tonnerre impossible avec un violent déplacement d'air. Les hommes immobiles dans les casemates avaient l'impression qu'un énorme aérolithe, un morceau de planète, venait de pénétrer et d'exploser à l'intérieur du fort. Il s'agissait du premier projectile français de 400. (Le mortier spécial que Pétain avait demandé à la fin juillet.)

L'obus, crevant la maçonnerie, avait explosé au beau milieu de l'infirmerie. Il n'était pas question d'y entrer : les flammes jaillissaient de partout. Le bruit du bombardement pénétrait maintenant comme un orage furieux par l'ouverture béante.


Chargement d'un obus de 400


Le second obus de 400 s'abattit dix minutes plus tard. Les hommes de la casemate 8 se regardèrent en entendant le hurlement enroué. Aucun n'eut le temps de faire un geste.

Cela continua chaque quart d'heure avec une régularité insoutenable. Commandant le fort, le chef de bataillon Rosendahl comprenait que ceux de ses hommes qui n'étaient pas tués allaient devenir fous. Au quatrième obus il donna l'ordre à toute la garnison de descendre à l'étage inférieur. L'éclairage général fonctionnait encore.

Les obus suivants ne laissaient aucune rémission : par la voute crevée, l'un d'eux explosa au niveau inférieur. Un autre détruisit le stock de munitions, et la fumée des explosions envahit les souterrains. Les hommes avaient mis leur masque. Il semblait qu'il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre la mort.

A 16h00 Rosendahl donna l'ordre d'abandonner le fort à "tous les hommes non indispensables" : ceux qui ne servaient pas une mitrailleuse de casemate ou une pièce d'artillerie. L'idée de s'avancer à l'extérieur sous l'orage d'acier était affolante : combien de mètres pourrait-on parcourir ? Avec une discipline impressionnante les hommes commencèrent à sortir.

Dans la soirée, les français commencèrent un tir démentiel d'obus à gaz. Les hommes en batterie derrière leur pièce s'évanouissaient malgré le masque. Evacués en quasi-totalité, ils furent remplacés au matin par un groupe arrivé des lignes allemandes. Capitaine Prollius, 20 hommes, qu'il répartit avec des mitrailleuses pour défendre les entrées du fort. Le brouillard très épais ce matin-là rendait irréelle la défense d'un bâtiment éventré contre lequel aucun soldat français ne s'était encore avancé. La pluie d'obus à gaz, et encore quelques obus géants, rien d'autre.


Les fantassins français observent le tir de leur artillerie.


Il existe des photos frappantes du début de la contre-offensive française du 24 octobre. Là où le brouillard était très dense on vit des hommes sortir des parallèles de départ - tranchées supplémentaires pour les troupes d'assaut - plusieurs minutes avant l'attaque et s'aligner devant le parapet.

Le plan prévoyait une progression de cent mètres par 4 mn, avec arrêt sur une ligne intermédiaire pour une remise en ordre. Nous avons déjà vu quelle efficacité l'artilleur Nivelle avait su donner au barrage roulant progressant en avant des troupes.

"C'était extraordinaire. On ne voyait rien, les officiers se guidaient à la boussole. On avait l'impression de se promener. ça dura comme ça plusieurs minutes."

Au cours de cette avance, le soldat Ulysse Lenain, 401e d'infanterie, s'attaqua seul à un groupe de 3 mitrailleuses allemandes. Après avoir jeté quelques grenades, il attendit que sa compagnie soit suffisamment proche, puis il sauta au milieu du groupe avec une grenade dégoupillée dans chaque main. "Si vous tirez vous êtes morts !" Sur le champ de bataille de Verdun, il y avait des soldats allemands qui n'en pouvaient plus. Ceux-là jetèrent leur fusil et levèrent les mains. "En avant, vous autres ! Je les tiens !" Il venait de faire 17 prisonniers, dont 3 officiers.

Ailleurs, des chasseurs du 107e allaient mettre près d'une heure à sortir l'un d'eux d'un trou de boue où il s'enfonçait. Tenant la tête hors de la boue en s'accrochant à des courroies de fusils tressées ensemble, le malheureux épuisé demandait à ses camarades de l'achever. Les chasseurs étaient comme fous, ils couraient partout pour trouver des pierres des morceaux de bois... tout ce qui pouvait combler le trou. C'était dingue, cette histoire en plein assaut. Un malin réussit même à dégotter des planches. On s'avança plus près du soldat englouti. Enfin la mare de boue laissa échapper sa proie. "On t'aurait pas laisser crever, vieux ! " (les noyés dans la boue, le détail le plus horrible parmi les récits des combattants. Pas si rare que ça, pendant cet automne - le terrain ne ressemble plus à rien. Personne ne le raconte, mais sans doute souvent des coups de grâce, lorsque des soldats isolés ne peuvent rien faire de mieux.)

Le régiment colonial du Maroc est celui qui doit emporter le fort. (régiment mixte : français du Maghreb, arabes, et un bataillon de Sénégalais. Le 1er RIM deviendra le plus décoré de la guerre.) Les Sénégalais sont arrêtés un bon moment par un groupe de mitrailleurs allemands qui n'ont pas l'intention de reculer. Les Sénégalais sont désorientés par le brouillard, le flottement s'éternise. "Quel est le con qui commande cette compagnie ? " Un commandant en colère se met en tête et les lance à l'assaut. Les mitrailleuses se taisent.

3 bataillons. Le deuxième se perd dans le brouillard : la boussole de son commandant était déréglée. Le troisième se présente donc seul devant la pente qui monte au fort. L'artillerie allemande a finit par se réveiller et bombarde la pente au hasard. Le chef de bataillon ordonne l'assaut. Il laisse en arrière une compagnie, qui se fortifie sur place au cas où l'affaire tournerait mal.

Mais tout se passe bien : la garnison allemande est trop peu nombreuse pour résister longtemps. Les français trouvent les fossés effondrés et s'infiltrent partout sur le sommet du fort. Douaumont, qui a coûté tant de sang des deux côtés, est pris pratiquement sans combat. Déjà, le 21 février, les Allemands l'avaient trouvé vide de troupes. Curieux destin pour la fortification la plus disputée de la bataille !

La nouvelle provoquera une émotion considérable dans tout le pays : le cauchemar de Verdun est terminé. Les Français ont gagné la bataille.
________________


Le fort de Vaux, évacué par les Allemands, sera repris sans combat en novembre. Il y aura une seconde contre-offensive en décembre : dès l'instant où on avait rassemblé toute cette artillerie, les Français ont poussé le zèle jusqu'à ramener les Allemands carrément sur leurs positions de départ, celles de février.

Une bonne idée, même si ça ne va pas sans pertes : comme tout se sait dans une armée, les soldats allemands vont se répéter que tous ces assauts, tous ces morts, ont abouti pour l'Allemagne à un gain de terrain nul. Effet psychologique garanti : à la fin 1916, l'armée allemande n'a pas le moral.

L'Etat-Major allemand va bientôt commencer à classer ses régiments en fonction de leur valeur et de leur motivation : il définira pas moins de 16 catégories au début 1918 ! - cet élitisme les perdra. Mais déjà après Verdun il est évident que certains régiments n'ont plus aucune motivation.

Par contre, les Français commencent à se dire que l'Allemagne n'est pas invincible. Comme souvent dans cette guerre, cela se traduit par une euphorie imbécile qui poussera au premier rang le général Nivelle - vainqueur théorique : c'est lui qui commande l'armée de Verdun - et conduira à l'attaque folle contre le Chemin des Dames, au printemps 1917.

En 1917, les Allemands se joignent à l'effort autrichien contre la Russie. Après quelques offensives réussies, la Russie cède. La révolution bolchevique amènera le Haut Commandement allemand à donner des consignes de fraternisation avec les soldats russes. Il va sans dire que tous ces soldats allemands qui arrosent à la vodka la paix revenue - avec les troupiers russes - vont manquer d'enthousiasme pour revenir se faire trouer la peau en France.

Malgré tout, les 6 premiers mois de 1918 seront terribles pour les Français et les Anglais. C'est simple : les Russes ont laissé tomber, et les Américains ne sont pas encore là. Supériorité numérique allemande : un million d'hommes ! De février à juin, à trois reprises, une offensive avalanche brise les lignes, on se bat à nouveau en rase campagne, comme en 1914, et à nouveau les Allemands vont menacer Paris et passer au sud de de la Marne.

Mais ceci est une autre Histoire. Celle de la fin de la guerre des tranchées. Chars, avions et artillerie motorisée vont permettre de sortir de cette épouvantable tuerie immobile.

Epilogue donné par l'historien Pierre Miquel : "l'espérance a permis aux hommes de donner au sacrifice le sens d'une révolte contre un destin suicidaire, le désir d'éliminer l'injustice, l'agression, la domination, pour n'avoir plus à reprendre les armes. La volonté d'imposer la paix comme passion majeure. Tel était l'espoir de ces combattants déçus, vêtus de bleu horizon, si proches de nous, nos ancêtres, nos frères."
Pierma
Bon, l'offensive du 24 octobre est annoncée depuis deux mois, je vais quand même essayer de finir le récit cette année !

De fait la bataille de Verdun ne se termine vraiment qu'en décembre 1916.

Depuis le 21 février... le temps a passé.

Une façon d'évaluer la vraie durée de cette bataille. Pas étonnant que les Français de l'époque aient trouvé cette guerre interminable.


Edité le 31-12-2008 à 17:45:45 par Pierma


ThunderLord
Merci Pierma pour ce nouvel épisode, clairement et agréablement raconté (sinon vécu ). Effectivement, je comprends mieux maintenant pourquoi tant de gens ont fait confiance à Pétain lors de la guerre suivante...
Audrey
De nouveau un grand merci, Pierma, pour ce nouveau chapitre de la bataille de Verdun.

Peu de témoignages, en effet, sur "l'après", le ré-apprentissage de la vie, du quotidien ...et la gestion personnelle de ce qui fut vécu "là-bas". La plupart des Poilus ont gardé sous silence cette partie d'eux-mêmes qu'ils préféraient tenter d'oublier (et on les comprend). Leurs proches, eux, ont pu témoigner des changements de comportements, des silences, des cris et des réveils en sursaut, des moments "où la roue tourne à vide"... Pas un seul Poilu n'est revenu intact : physiquement ou mentalement, ils furent tous tués ou blessés. Il y a des années de cela, j'avais lu un témoignage de Poilu ; il y expliquait "qu'il n'y a pas eu de survivant à la Grande guerre : elle nous a tous tués, d'une façon ou d'une autre".
Pierma
La contre-offensive : préparation française.


Les pluies commencèrent à la fin de septembre. Elle recommençait à imbiber la mauvaise terre argilo-calcaire, à peine craquelée par l’été. Parfois un pan de tranchée s’éboulait, laissant glisser ensemble plusieurs cadavres vaguement enterrés, français ou allemands. Des hommes de relève, pour atteindre ces tranchées, marchaient dans des boyaux où l’eau leur arrivait à mi-cuisse. Et cette eau était déjà froide. Les hommes se disaient qu’ils allaient mourir tout naturellement dans ce cloaque froid et humide, nul besoin des obus.

Le 4 octobre, un colonel inspectant sa première ligne assista à un spectacle étrange. Les tranchées françaises et allemandes, entre elles vingt mètres d’intervalle, étaient pareillement remplies d’eau : plus d’un mètre, d’un côté et de l’autre. Les hommes avaient quitté la tranchée et s’étaient assis sur le parapet, Français et Allemands se regardant avec résignation sous la pluie interminable. Une trêve tacite avait été conclue. L’eau du ciel tombait avec une indifférence cosmique sur tous les uniformes, sur tous les cadavres.

Et voici, dans ce climat d’enlisement, de fin découragée du monde, voici des signes tout différents, un ensemble de mouvements volontaires. Alors que des hommes déjà s’habituaient à marcher tant bien que mal au bord de certaines routes devenues impraticables, on voit des équipes apporter des pierres et recharger les routes, et d’autres routes et pistes empierrées sont ouvertes.

Plus en arrière des maçons, des charpentiers et des poseurs de voies aménagent, agrandissent des gares comme Baleycourt, Landrecourt, et à peine les voies posées on voit arriver les très longs trains de petits wagons de marchandises et de plates-formes, et là-dessus, des canons, des canons, des canons. Des wagons, on décharge des planches, des rondins, des sacs de ciment. Des charrettes à chevaux, des bourricots et des hommes acheminent tout ce matériel vers l’avant, jusqu’au sein même du charnier spongieux, et dans cette boue même, sous la pluie, sous les obus, les hommes du génie creusent et construisent des abris, des tranchées, des parallèles de départ. Sous la pluie et les obus, trois et dix fois recommençant leur ouvrage que détruisent l’eau du ciel et les projectiles.


Artillerie lourde : canon de marine utilisé sur le front.


Au passage, je signale qu’il était bien temps de penser aux canons : Pétain a passé son temps à en réclamer à Joffre, depuis le 21 février. Depuis, les Français ont dû faire face avec une artillerie importante, certes, mais bien inférieure à l’artillerie allemande. Joffre, le commandant en chef, avait constaté que dans le bourbier de Verdun, le sacrifice des fantassins suffisait à arrêter les Allemands. Il n’en demandait pas plus, pour mener à bien son offensive de la Somme, qui enfoncerait définitivement les Allemands et pour laquelle il réservait le meilleur de l’artillerie lourde française, ces canons de 155 courts qui sortaient des nouvelles usines. Ainsi, à Verdun, le sacrifice de l’infanterie était nécessaire aux vastes conceptions du généralissime, et de fait les fantassins français n’ont pas déçu. Avec juste ce qu’il fallait d’artillerie, ils ont réussi à bloquer les Allemands. De justesse, certes, mais malgré tout le calcul de Joffre s’avérait juste. Sauf sur un point : l’offensive de la Somme avait échoué. Menée sur un front de 40 km, avec une forte participation anglaise, elle avait fait perdre aux alliés 300 000 hommes en 3 mois. (tués, disparus, blessés ou prisonniers)

Bien entendu, les soldats qui montent à Verdun savent tout cela. Se savoir désormais appuyé par une artillerie nombreuse, c’est rassurant. Mais si c’était pour échouer dans la Somme, pourquoi ne pas les avoir soulagés plus tôt ? En 7 mois, l’artillerie française a tiré 23 millions de projectiles – soit 100 000 par jour – mais l’artillerie allemande bien davantage. Certains de ces hommes appartiennent à des régiments qui ont déjà été engagés plusieurs fois à Verdun. A postériori, il n’est pas possible de leur cacher que l’infanterie française a été utilisée et sacrifiée, à Verdun, en dépit des pertes subies, pour permettre une offensive menée ailleurs et qui a échoué. A quoi donc servent ces sacrifices ?

Ils savent également que Pétain commence à Verdun l'emploi de méthodes nouvelles, utilisant le matériel pour économiser les hommes. Tout se sait dans une armée : le souci de Pétain, à la fois humain et logique, compte pour beaucoup dans sa popularité. Pétain pense que les effectifs français ne sont pas inépuisables. Il est resté ce colonel, qui, avant la guerre, s’était avisé l’un des premiers que « le feu tue. » (On ne comprendrait rien à la popularité de Pétain en 1940 sans cette réalité qu’il a été remarquable en 1916, et plus encore en 1918, dont les six premiers mois ont été dramatiques)

Nivelle reste le commandant de l’armée de Verdun. Sur le terrain, c’est Mangin qui s’est plié à l’organisation méthodique de la reprise de Douaumont. L’entreprise s’effectue dans les pires conditions, et pourtant elle est poursuivie avec une fermeté absolue. Les obus allemands tombent sur l’immense et surprenant chantier qu’est devenue la rive droite de la Meuse, mais ils tombent moins nombreux à mesure que les jours passent, à mesure que l’artillerie lourde française prend ses positions et pilonne les batteries allemandes.

Même par mauvais temps, l’aviation de chasse française protège les gros biplans de réglage. Les Nieuport, survolant avec autorité les lignes allemandes, incendient les Drachen (les ballons captifs) parfois avant même que leur cable soit complètement déroulé. En revanche les « saucisses » françaises oscillent impunément sous le plafond gris. Dans les airs aussi, la balance penche du côté français.

Le 21 octobre, début du tir de préparation français, 650 canons ouvrent le feu. En face, on pense que les Allemands en ont 800. Mais la preuve que la marge est largement comblée par une supériorité française en liaison et en précision du tir va être administrée dès le 22. Ce jour-là, feinte du côté français : on simule le départ de l’attaque de grand style. Aussitôt, 158 batteries allemandes, jusque-là muettes, et cachées, ouvrent le feu. Repérées, elles sont contrebattues : 90 d’entre elles seulement seront encore en état de tirer au jour J.

Celui-ci est fixé au 24 octobre. Heure H, 11h40

-------------------------


On commence à voir du nouveau, et ce qui donnera finalement à l'armée française le dernier mot en 1918 : elle s'organise !

Après 2 ans de guerre, ce n'est pas du luxe. Mais l'armée française va devenir progressivement mieux organisée et plus homogène que l'armée allemande. En 1918 elle sera devenue une véritable armée professionnelle, capable de coordonner les chars, l'artillerie mobile et l'aviation.

A Verdun, Pétain teste la mise en oeuvre de cette coordination, sur un terrain très difficile pour cela... parce qu'il est pratiquement impossible de s'y déplacer quand l'artillerie ennemie tire.


Edité le 15-10-2008 à 23:43:55 par Pierma


Pierma
Audrey a écrit :


Quant aux rescapés du front, ils eurent bien du mal à "revenir", mentalement et moralement parlant. Les cauchemars les accompagnèrent très, très longtemps, les réveillant en pleine nuit, hurlant, se croyant encore sous les obus, au milieu des cadavres, des rats et de la souffrance. Même les moments heureux vécus par la suite n'avaient pas le même impact sur eux : difficile d'oublier, difficile de sourire "quand on a vécu la guerre", difficile de "vivre comme si rien n'avait eu lieu"...

Curieux, mais cette remarque m'a surpris. C'est pourtant évident.

Dans les récits de la Grande Guerre, les combattants ne parlent jamais des traumatismes psychologiques. Encore moins des séquelles après la paix.

Pourtant les témoignages relevés par Jacques Péricard (un lieutenant qui a combattu à Verdun, et raconté en détail la bataille vue par les combattants) montrent à de nombreuses reprises des soldats qui "pètent les plombs." On en voit s'enfuir à moitié nu, d'autres partir à découvert vers les lignes allemandes, ou errer au hasard... Un officier devient fou furieux, il veut attaquer seul et doit être calmé par ses hommes : enterré par un obus, il a été déterré par l'explosion d'un autre !

A combattre dans des conditions aussi épouvantables, on imagine bien que beaucoup sont revenus avec des séquelles psychologiques. Mais je n'ai jamais rien lu là-dessus. On en parlait dans les villages (où quelques anciens étaient revenus un peu zinzins) et les psychiatres de l'époque ont dû laisser des rapports, mais rien de publié.

Autre témoignage : en mai, à Chattancourt, sur la rive gauche, un colonel qui visite un abri de seconde ligne de son régiment tombe sur une scène atroce : une vingtaine d'hommes prostrés, la tête dans les mains, et au milieu l'un d'eux pendu à une poutre, et que personne ne songeait à dépendre. Ces hommes venaient d'apprendre qu'ils allaient remonter pour la 4ème fois dans les tranchées de première ligne. On ne peut pas tout supporter ! Le colonel obtint la mise au repos immédiate de son régiment.

Des histoires comme celle-là laissent deviner que personne n'est revenu intact.
Audrey
Merci, Pierma, pour ces nouvelles lignes.

C'est en effet ce qui ressort de nombreux témoignages laissés par des Poilus : la sensation que "jamais ça ne finirait", que "seule la mort mettrait fin à leurs souffrances", etc.
Bon nombre de ceux qui s'en sont sortis le doivent en grande partie par les sentiments forts qui les liaient à des êtres chers (femme, enfants...). Sans cela, ils avouaient "qu'ils se seraient laissés emporter par ce tourbillon de mort qui foudroyait les uns et les autres, sans jamais s'arrêter", en se mettant à découvert pour que tout cela cesse...

Quant aux rescapés du front, ils eurent bien du mal à "revenir", mentalement et moralement parlant. Les cauchemars les accompagnèrent très, très longtemps, les réveillant en pleine nuit, hurlant, se croyant encore sous les obus, au milieu des cadavres, des rats et de la souffrance. Même les moments heureux vécus par la suite n'avaient pas le même impact sur eux : difficile d'oublier, difficile de sourire "quand on a vécu la guerre", difficile de "vivre comme si rien n'avait eu lieu"...
 
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