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31 juillet 1944 - disparition de Saint-Exupéry

Pierma
   Posté le 17-07-2008 à 19:39:50   

Disparition mystérieuse de Saint Exupéry - 31 juillet 1944




le 31 juillet 1944 au matin, Saint-Exupéry décolle de l'aéroport de Poretta, non loin de Bastia, en Corse. aux commandes de son F-5B, version photo du bimoteur P-38 Lightning, pour une mission de reconnaissance photo en vue du prochain débarquement en Provence (prévu pour le 15 août 1944). Cap sur la vallée du Rhône, puis Annecy et Grenoble, retour par la route Napoléon. Il est seul à bord. Ce Lightning de reconnaissance est une version désarmée : sa grande vitesse à haute altitude (11000 m) le met à l’abri d’une interception et il est bardé de caméras et d’appareils photos sous différents angles. Il emporte du carburant pour six heures de vol.


Le Lightning P38 (lightning : l'éclair)


Saint-Exupéry est déjà une légende vivante, surtout aux Etats-Unis où il vient de publier « Pilote de guerre », récit de ses combats de 1940, et Le Petit Prince. Tous les contrôleurs américains connaissent sa détestable habitude de ne parler que français à la radio. Sur un précédent retour de mission, il s’est même fait tirer dessus par la DCA américaine de l’île, parce qu’il avait oublié de brancher son IFF (identificateur radar) Jusqu’à ce qu’un « Merde ! » tonitruant à la radio permette au contrôleur de reconnaître le pilote.

Décollage à 8h30 ce 31 juillet, les radars de l’île signalent peu après qu’il a franchi la côte de Provence. Cet écho radar sera son dernier signe de vie. A 14h30, Saint Exupéry n’est pas rentré. On appelle fébrilement les autres terrains corses. A 16h00 il est déclaré « missing », disparu en mission. La nouvelle est rendue publique par la radio d’Alger. Elle est bientôt connue du monde entier. Les aviateurs allemands basés en Provence en sont informés par leurs services d’écoute.

Il est alors impossible d'effectuer des recherches sur le terrain en temps de guerre, Saint-Ex est officiellement porté disparu. Sa mémoire est célébrée solennellement à Strasbourg le 31 juillet 1945 et en 1948, il est reconnu « Mort pour la France ».

Mais personne ne sait où est tombé l’aviateur. On évoque un crash éventuel dans les Alpes, et les rumeurs vont jusqu’à parler de suicide ou même d’un atterrissage en Suisse, destiné à cacher une vie désormais anonyme. Pendant 60 ans les imaginations vont s’envoler à leur tour, d’autant qu’on ne retrouve ni trace d’épave ni archive allemande indiquant la destruction d’un Lightning ce jour-là. La vérité ne sera connue – publiquement - qu’en 2008.

En septembre 1998, une gourmette est ramenée dans son chalut par un patron pêcheur de Marseille, Jean-Claude Bianco, entre l’ile de Riou et le village du Planier. Elle porte les inscriptions « Antoine de Saint-Exupéry / Consuelo C/O Reynal and Hitchcock Inc. 386 4th Ave. N.Y.C. U.S.A. » Consuelo est le prénom de sa femme et les coordonnées sont celles de l’éditeur new-yorkais du Petit Prince. Malgré ces détails, le malheureux marin se fera traîner dans la boue par les héritiers et par les gazettes, qui flairent la galéjade marseillaise. Excédé, il finira par attaquer en justice les héritiers de Saint-Ex, qui refusent de publier les analyses permettant d’authentifier la gourmette.

Il faut dire que cette découverte ne cadre pas avec le trajet de la mission de Saint-Exupéry ce jour-là. Au débouché des Basses Alpes, il aurait dû franchir la côte beaucoup plus à l’est, du côté de Nice. Et puis, pourquoi aller se fourrer dans un « piège de flak » ? (la DCA allemande, terrible au dessus des ports.)

Et puis, ce n’est pas la première fois qu’on parle de l’avion disparu. En 1950, un pasteur d'Aix-la-Chapelle, ancien officier de renseignements dans la Luftwaffe, témoignera avoir appris, le 31 juillet 1944, qu'un P-38 Lightning avait été abattu en Méditerranée par un Focke-Wulf allemand. Puis, en 1972, surgit le témoignage (posthume) d'un certain aspirant Heichele, qui aurait fait feu sur le Lightning depuis son appareil, vers midi, au-dessus de Castellane. Mais Heichele a été à son tour abattu en août 1944. Un autre témoignage surgit tardivement (dans les années 1990), à propos d'une habitante de Carqueiranne qui aurait vu, le jour fatidique, le Lightning se faire abattre. La mer aurait ensuite rejeté le corps d'un soldat sur la plage, lequel a été enterré anonymement dans le cimetière de la commune. Était-ce Saint-Exupéry ? Pour le savoir, il faudrait exhumer le corps, procéder à des comparaisons avec l'ADN des membres de sa famille, lesquels s'y montrent opposés. Chaque fois, ces « révélations » relancent l'intérêt aussi bien des spécialistes que du grand public, pour le « mystère Saint-Ex ».

Enfin, en 2000, des débris d’un Lightning, le train d'atterrissage, un morceau d'hélice, des éléments de carlingue et surtout du châssis, sont retrouvés au large de Marseille. Le travail d’identification représente une enquête difficile, qui va occuper un plongeur spécialisé, Luc Vanrell, pendant 3 ans. Au total, on a retrouvé 5 épaves de Lightning le long des côtes de Provence. (Et une bonne quarantaine d’épaves d’avions de la même période.)

Deux ne sont pas identifiés. Vanrell identifie le premier, découvert au large de La Ciotat. La veuve d’un pilote américain, le lieutenant James C Riley, fera le voyage de Toulon pour lancer une couronne de fleurs sur les lieux de sa mort. La vieille dame dit qu’elle avait toujours craint que son mari se soit noyé en se posant sur l’eau : les restes montrent au contraire que la cabine a été déchirée par une rafale et que l’avion s’est désintégré à l’impact, presque vertical.


Un Lightning dans un meeting aérien
Et ils volaient à 11000 m et 700 km/h là-dessus ?


Reste la deuxième épave. Il s’agit d’abord de prouver qu’il s’agit bien de la version photo du Lightning. Une association américaine de pilotes vétérans aidera Luc Vanrell à trouver les données techniques détaillées du Lightning, un appareil qui a été construit en 18 versions différentes, sans compter les évolutions. Remontés à la surface en septembre 2003, les restes sont formellement identifiés le 7 avril 2004 grâce à un numéro de série poinçonné à la main par un ouvrier américain pour repérer une pièce modifiée. Coup de chance !

Mais rien ne permet de donner une conclusion définitive sur les circonstances de sa mort, malgré la simulation informatique de l’accident – à partir des pièces déformées – qui montre un piqué, presque à la verticale et à grande vitesse, dans l’eau. Fut-elle la conséquence d'une énième panne technique, d'un malaise du pilote ? Certains avancent même, au grand scandale de ses proches, l'hypothèse du suicide d'un Saint-Exupéry diminué physiquement, désespéré par le monde qu'il voyait s'annoncer, thèse confortée par certains de ses derniers écrits, au ton franchement pessimiste, par exemple les dernières lignes d’une lettre adressée à Pierre Dalloz, écrite la veille de sa mort: « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »

La vérité sur les circonstances de son décès va sortir un peu par hasard. Sur le site de l’épave, on remonte une casserole d’hélice sur laquelle il n’y a aucune trace des pales d’hélice. Il s’agissait donc de pales d’hélices en bois, qui ont pourri avec le temps. Cette particularité signale sans erreur possible un chasseur Messerschmidt 109. Il y a donc deux épaves imbriquées. L’allemand aurait-il percuté l’avion de Saint-Ex. ?


L'épave a été retrouvée à l'est de l'ile de Riou, au large des calanques de Marseille


Après enquête en Allemagne, il est identifié comme l’avion du prince Graf zu Garten, abattu huit mois plus tôt dans le secteur au cours d’une attaque contre un raid de Forteresses Volantes fortement escorté. Coïncidence, l’épave du Lightning s’est déposée sur celle de l’avion allemand. Luc Vanrell prend contact avec le frère du pilote, qui apprend ainsi, 60 ans après, ce qui est arrivé à son aîné, disparu au cours de sa première mission. Comme il appartenait à une grande famille allemande – le titre de « Graf » correspond à un prince souverain, ce qui n’existe pas en France – la Luftwaffe n’a pas voulu l’informer que 4 élèves pilotes avaient étés conduits à une attaque suicidaire par un instructeur exalté. « Tombé pour la patrie », rien de plus.

Garten est également plongeur, il va se passionner pour l’enquête et contacter les pilotes de l’escadrille de chasse de son frère, basée en 1944 à Salon de Provence. Mais « il y a un problème dès qu’on évoque Saint-Exupéry. Ils ne veulent pas en parler. » A l’évidence, aucun des pilotes allemands survivants n’a envie d’être connu comme l’homme qui a abattu Saint-Exupéry. Le prince de Garten engage sa parole, et un certain Horst Rippert finit par expliquer que c’est lui qui a abattu Saint-Exupéry. Luc Vanrell pourra réaliser une interview filmée, à condition que la vérité ne soit diffusée qu’après sa mort.

Ainsi, en mars 2008, peu après son décès, le journal La Provence publie le récit de ce pilote allemand. Horst Rippert reconnaît avoir abattu un avion de type P-38 lightning le 31 juillet 1944 dans la zone où Saint-Exupéry se trouvait. En mission pour retrouver un avion ennemi signalé dans le secteur, Horst Rippert tourne plusieurs minutes au-dessus de la Méditerranée sans rien repérer. Soudain, un Lightning le croise 3000 mètres au-dessous de lui. Horst Rippert tire et touche. L'avion s'enflamme et tombe à pic dans la mer. Le soir même, Horst Rippert, qui a revendiqué sa victoire, apprend par une information diffusée à toutes les bases allemandes de Provence et d’Italie, que Saint-Exupéry a été abattu dans la journée au cours d’un vol isolé sur Lightning.. « Si j'avais su que c'était Saint-Exupéry, l'un de mes auteurs préférés, je ne l'aurais pas abattu », a déclaré Horst Rippert.

Plus d'un demi siècle après les fait, le vieil homme se dit pétri de remords. " J'ai espéré, et j'espère toujours, que ce n'était pas lui. Dans notre jeunesse, nous l'avions tous lu, on adorait ses bouquins. Il savait admirablement décrire le ciel, les pensées et les sentiments des pilotes. Son œuvre a suscité la vocation de nombre d'entre nous. J'aimais le personnage. Si j'avais su, je n'aurais pas tiré. Pas sur lui. "

Pour autant, personne ne saura jamais pourquoi Saint-Exupéry a effectué ce jour-là un survol à basse altitude de la côte entre Toulon et Marseille. On pense qu’il a essayé de compléter une mission précédente, qu’il avait dû interrompre à cause d’ennuis sur un moteur. Parcours risqué à basse altitude pour un avion désarmé, d’autant que les séquelles de ses nombreux accidents lui interdisaient de se retourner complètement pour surveiller l’arrière de son avion. Mais ce risque pris délibérément restera pour toujours le vrai secret de Saint-Exupéry.

A lire : Jacques Pradel et Luc Vanrell « Saint-Exupéry, l’ultime secret » Ed. du Rocher


Edité le 17-07-2008 à 19:42:43 par Pierma


Ouaille
   Posté le 17-07-2008 à 22:30:35   



Comme d'hab superbement raconte!
Audrey
   Posté le 12-08-2008 à 22:16:55   

Bon... Pierma, s'il te plaît, ne remarque pas que je suis très très en retard pour répondre à ce sujet, d'accord ?
Il m'aura fallu quelques jours de congés pour (enfin !) refaire le tour des rubriques et m'apercevoir que j'avais râté ce sujet.

Merci, Pierma, pour ce post sur "le mystère Saint-Exupéry" : toujours aussi plaisant à lire, aussi riche en éléments précis, bref, que du bonheur !

Finalement, ce pauvre patron pêcheur de Marseille, avec sa fameuse gourmette, aura-t-il eu gain de cause (ne serait-ce que pour mettre fin aux railleries dont il fut victime) ?
Et pourquoi les héritiers de Saint-Exupéry se montrèrent-ils aussi fermés aux découvertes faites à l'époque ? N'avaient-ils pas envie (eux aussi) de connaître la vérité sur la disparition de leur ancêtre ? Etrange, tout de même, comme réaction...
Pierma
   Posté le 12-08-2008 à 23:58:18   

Audrey a écrit :

Finalement, ce pauvre patron pêcheur de Marseille, avec sa fameuse gourmette, aura-t-il eu gain de cause (ne serait-ce que pour mettre fin aux railleries dont il fut victime) ?


Oui, il a transigé avec les héritiers lorsqu'ils ont reconnu son authenticité. Il n'a pas gagné d'argent dans l'affaire.

Il était présent le jour où les souvenirs de cette recherche (et donc la fameuse gourmette) on été déposés dans une vitrine spéciale du musée de l'Air, au Bourget.

Juste réparation, surtout médiatique, après tout ce qu'il avait entendu sur les sardines marseillaises qui bouchent le Vieux Port.

Sans cette gourmette on n'aurait pas mis autant d'acharnement à trouver et authentifier l'épave.

Parce que c'était Saint-Exupéry, les anciens pilotes américains et allemands, ainsi que les anciens ingénieurs de Lookheed, ont accompli un travail extraordinaire. (Les anciens de Lookheed, par exemple, ont repris les plans et l'étude de toutes les variantes du P38, et recherché tous les numéros de série.)

Citation :

Et pourquoi les héritiers de Saint-Exupéry se montrèrent-ils aussi fermés aux découvertes faites à l'époque ? N'avaient-ils pas envie (eux aussi) de connaître la vérité sur la disparition de leur ancêtre ? Etrange, tout de même, comme réaction...

Ils ont craint dès le début qu'il s'agisse d'une supercherie. Cette gourmette qui resurgit à Marseille plus de 50 ans après, ça paraissait trop beau pour être vrai.

Mais ils ont longtemps gardé cette attitude, et ça c'est incompréhensible.

Il a fallu leur mettre toutes les preuves en main pour qu'ils admettent la vérité, et acceptent de remettre cette gourmette au musée de l'Air.

Il est possible que tous les objets qui s'y trouvent soient un jour remis à un musée Saint-Exupéry, dont ils gardent le projet.


Edité le 13-08-2008 à 00:10:27 par Pierma


Audrey
   Posté le 13-08-2008 à 01:40:13   

Tout est bien qui finit bien pour ce brave pêcheur ...qui, la prochaine fois qu'il fera une trouvaille, se gardera peut-être de la rapporter, histoire d'éviter les colibets...

Effectivement, certains ont sacrément planché pour que tous les éléments soient réunis et permettent à cette enquête hors du commun d'aboutir (sans ces fameuses annotations des numéros de série, on en serait certainement à faire encore des suppositions). Comme quoi rien ne vaut le travail en équipe, tous pays confondus !