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Épaves de la Natière, un POMPËI SOUS-MARIN

Audrey
   Posté le 25-07-2006 à 23:05:14   

(AFP & Ouest-France - 25/07/06)
Devant Saint-Malo, les épaves de la Natière, un "Pompéï sous-marin"


Des plongeurs remontent le 25 juillet 2006 un canon de l'épave d'une des deux frégates du XVIIIème siècle,
échouées près de Saint Malo

Céramiques allemandes ou normandes, pots en étain tanné, sabres, pistolets, épées, chaussures : depuis 1999, les épaves explorées sur les roches de la Natière, face à Saint-Malo, n'en finissent pas de livrer leurs trésors.

De ce "Pompéï sous-marin", les archéologues ont remonté mardi un canon et une ancre appartenant à "La Dauphine", une frégate corsaire naufragée en 1704 à l'entrée du chenal de la Rance qui sépare Dinard de Saint-Malo.

Pourtant toute proche de la côte, cette caverne d'Ali Baba sous-marine n'a été découverte qu'en 1995 par un plongeur malouin. Tapies sous les laminaires (longues algues), à moins de 10 mètres de profondeur à marée basse, gisaient au moins quatre épaves dont deux frégates corsaires qui font l'objet depuis d'une étude exhaustive.

"C'est l'un des sites archéologiques sous-marins les plus attractifs au monde", assure Michel L'Hour, co-directeur des fouilles et conservateur en chef du Patrimoine.
"Les épaves sont souvent en très mauvais état. Alors qu'ici, c'est un véritable Pompéï : les sites sont restés tels qu'ils ont été abandonnés au moment du naufrage", se réjouit l'archéologue.

Rien n'a apparemment été emporté avant que les navires ne sombrent. De plus, les sédiments apportés par la Rance ont recouvert les épaves, les protégeant des effets destabilisateurs des courants marins, particulièrement forts sur cette côte.

"Par endroit, les sédiments atteignent près de deux mètres", relève Elisabeth Veyrat, co-directrice des fouilles. "Il est rare de trouver des épaves aussi bien conservées dans des zones maritimes aussi difficiles". Sa proximité des côtes et sa faible profondeur renforcent l'intérêt du site.

Les deux frégates, l'une de Granville et l'autre du Havre, "sont étonnamment prolifiques en collections de toutes natures", souligne Elisabeth Veyrat. Elles fournissent également nombre d'informations sur la construction maritime à l'époque et, évidemment, l'armement de ces navires utilisés indifféremment pour le commerce ou la guerre pour le compte du roi.

"Des objets trouvés (près de 2 000 pour la seule "Dauphine" ) dans les lieux de vie du navire nous apportent des éléments sur l'intimité de la vie à bord que n'abordent pas les sources écrites de l'époque", note Elisabeth Veyrat.

Les tonneaux permettent de reconstituer l'alimentation des marins. La zone du chirurgien a été retrouvée avec tous ses objets et l'analyse des onguents livre des informations sur les modes de traitement.

"Tout cela contribue à faire de la Natière un site de référence mondial en matière d'archéologie sous-marine", estime Michel L'Hour.

Environ 200 chercheurs d'une quinzaine de nationalités ont participé à ces fouilles dont les collections enrichiront un grand musée maritime en projet à Saint-Malo.
La dernière campagne de fouilles aura lieu en 2007.

Neuf canons ont déjà été remontés du site la Natière.
Les plongeurs des deux équipes ont dans un premier temps arrimé les canons sur le fond. Puis avec des ballons remplis jusqu'à 1000 litres d'air, ils ont littéralement arraché du fond de la mer ces masses d'une tonne et d'environ 2,60 m de long.
Bien visibles dès le début des fouilles, ils avaient été mis de côté, car il fallait attendre l'argent pour les traiter à la surface, et le lieu pour les montrer.


(Crédit Photos : Ouest-France)

Il était temps de récupérer les canons, car dans deux ans, le site de La Natière sera de nouveau enseveli sous un revêtement textile recouvert par des tonnes de sable.

L'air étant l'ennemi de ce qui a longtemps séjourné au fond de l'eau (et trois siècles, c'est long) il faut traiter les objets. Quatre des neuf canons le seront sur place, pour tester pour la première fois un pilotage à distance avec l'informatique.
Plusieurs mois d'électrolyse seront nécessaires avant d'apercevoir sous la gangue de concrétion protectrice les témoins d'un bateau coulé vers 1713, mais construit trente ans plus tôt, et qui aurait donc vécu aussi bien des expéditions vers les Indes, le Pérou, Terreneuve et la grande course.


Épave de la Natière 1 : les plongeurs observent le détail sur la charpente navale.
Cliché Teddy Séguiun.

La Natière 1

L'épave 1, fouillée à ce jour dans sa partie avant, se singularise par la complexité de sa couche archéologique et par la richesse de ses vestiges. On y a découvert de nombreux éléments provenant du gréement, des objets de cuisine, de la vaisselle de table, des outils, mais aussi des objets personnels et d'autres faisant partie de l'apothicairerie. A cela s'ajoutent des canons chargés sur affûts, des sabres, des pistolets…
Le caractère régional de la vaisselle de bord se différencie nettement des indices correspondant au dernier voyage effectué par ce navire sur les mers de l'Atlantique et de la Méditerranée. Il est déjà possible de tracer une première ébauche de portrait robot de ce bâtiment : c'était une frégate armée en course ou en marchandises, d'origine locale (probablement malouine), qui se serait perdue en mer au large de Saint-Malo dans les toutes premières années du XVIIIe siècle alors qu'elle remontait du sud de l'Europe. Le croisement de l'étude comparée des vestiges archéologiques avec les données d'archives permet aujourd'hui d'envisager certaines pistes d'identification pour cette épave qui ne devrait pas demeurer anonyme très longtemps.

La Natière 2

Contrairement aux premières apparences, l'épave ouest du site, dite Natière 2 , est relativement bien conservée. Elle est ensevelie sous les pierres de lest et sous une épaisse couche de sédiments : les vestiges d'un flanc de sa carène et de la quille jusqu'au premier pont sont toujours présents. La fouille de la zone de la cuisine a livré un mobilier abondant et une riche vaisselle d'étain. Cette épave se caractérise notamment par la présence d'un épais chargement de lingots de fonte de fer. Grâce à l'étude d'une centaine de ces lingots, il a été possible d'identifier leur origine : ils ont été fondus en 1746 et 1747 sur les rives de la baie de la Chesapeake, près de Baltimore, dans la colonie américaine du Maryland. L'identification de ces "saumons" de fer, les résultats de la datation dendrochronologique des bois d'œuvre de l'épave (le comptage des cernes annuels de croissance des troncs qui ont servi à la charpente navale a indiqué des dates d'abattage aux environs de 1736 ou 1737) et l'étude du mobilier céramique mis au jour, ont permis d'identifier l'épave Natière 2 comme étant celle de l'Aimable Grenot. Les archives confirment que ce navire s'est perdu en mer le 6 mai 1749, en baie de Saint-Malo. Construite à Granville en 1747, armée en course jusqu'en 1748, affectée au commerce après cette date, cette grande frégate de 400 tonneaux faisait route vers Cadix au jour de son naufrage.