Sujet :

Les impostures ou canulars littéraires

Pierma
   Posté le 19-09-2008 à 10:15:41   

Je tombe sur la page de Wikipédia consacrée aux impostures, théories du complot et légendes urbaines, dont la liste est impressionnante.

Dans le lot, il y a cette histoire d'arnaque... qui n'en est pas une, celle du livre " Naked came the stranger " un best-seller paru en 1969.

Si vous connaissez d'autres canulars, impostures ou coups tordus de l'histoire de la littérature, ne vous gênez pas !

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Naked came the stranger



Pour ceux qui savent un peu d'anglais, le titre paraît légérement décalé.
Traduction libre : "l'inconnue était déshabillée."

La couverture illustre bien l'idée qui a présidé à sa rédaction : élaborer et vendre à tour de bras un roman délibérément nul, nullissime, un torchon écrit avec les pieds, mais qui contient juste ce qu'il faut de sexe, de ragots sur d'hypothétiques personnalités réelles, etc... pour allécher les lecteurs.

En somme, faire mieux que ce qui se vend d'habitude... en faisant encore pire.

Au départ, il y a un homme excédé par la mauvaise qualité de la production "littéraire" de son temps.

Mike McGrady, journaliste new-yorkais, éditorialiste à Newsday, était persuadé que la culture littéraire populaire était devenue si pauvre aux États-Unis que même un ouvrage écrit à la va-vite et sans aucune qualité littéraire se vendrait bien, pour peu qu'il contînt suffisamment de sexe.

Le canular :

Afin de mettre à l'épreuve sa théorie, McGrady recruta plusieurs collaborateurs du journal (cinq femmes et dix-neuf hommes, soit 24 auteurs en tout) pour qu'ils élaborent un roman au caractère sexuel explicite, sans aucune valeur littéraire ou sociale, quelle qu'elle soit. Parmi eux, se trouvait McGrady lui-même.

Il était entendu que le roman ne devait comporter aucune trame cohérente, aucun personnage original, aucune description intéressante de New-York, où l'histoire se déroule. Le tout dans une langue volontairement pauvre, sans aucun bonheur de style à se reprocher.

Le groupe rédigea délibérément une espèce de salmigondis incohérent et médiocre, chaque chapitre étant de la plume d'un auteur différent. Certains d'entre eux durent être réécrits car ils étaient de trop bonne qualité. Le livre fut publié sous le nom de plume de Penelope Ashe, qui fut interprétée par la belle-sœur de McGrady pour les photographies et les rencontres avec les éditeurs.

Le thème du roman :

"Gillian et William Blake sont les animateurs d'une émission radiophonique populaire, The Billy & Gilly Show, où ils incarnent le couple parfait. Lorsque Gillian découvre que son mari la trompe, elle décide de le faire cocu avec divers hommes vivant dans leur voisinage, sur Long Island. La majeure partie du livre se compose de tableaux décrivant les aventures de Gilly avec ses amants, du rabbin progressiste au crooner mafieux."

Un best seller en 1969 :

Le livre fut un grand succès, confirmant les attentes cyniques de McGrady. Comme les ventes continuaient d'augmenter, beaucoup parmi les auteurs se sentirent coupables de gagner autant d'argent, et ils éventèrent le canular. Ils se confessèrent sur le plateau du David Frost Show : après avoir été annoncés comme « Penelope Ashe », ils s'avancèrent en file indienne, 23 personnes réunies.

Le livre passa finalement une semaine dans la liste des best-sellers du New York Times, mais à ce moment-là, son origine était devenue publique. Il est difficile de déterminer à quel point le succès du livre dépendait de son contenu ou de la publicité faite autour de son origine.

(ça, c'est ce que dit Wikipédia, mais cet argument a sans doute été utilisé par les éditeurs vexés que leur production habituelle soit ridiculisée)

Par la suite, on proposa à McGrady et ses collaborateurs d'écrire une suite, ce qu'ils refusèrent.

En 1970, McGrady publia " Stranger Than Naked , or How to Write Dirty Books for Fun and Profit", qui racontait l'histoire du canular. ("Plusqu'àpoil, ou comment écrire des livres cochons pour le fun et l'argent" )

Dans ce titre inversé, McGrady joue sur le mot "stranger", qui signifie à la fois "l'inconnu, l'étranger" et "plus étrange que..." De fait, il était difficile de trouver plus étrange que ce roman... tout nu.

En 1975, le roman a été adapté en film pornographique par Radley Metzger. (ça au moins c'est logique ! L'intrigue ne prétendait pas apporter davantage que ce genre de scénario.)

Ce titre devenu référence a été repris plusieurs fois, avec des variantes, pour des livres - des bons livres - écrits à plusieurs mains. Par exemple "Naked came the badfic" - "Le badfic était nu" rédigé par plusieurs écrivains de science-fiction.

--> Lire l'article .
--> Plus complet en version anglaise , sur Hoaxipedia.

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Je parlais d'une arnaque qui n'en était pas une, parce que finalement les lecteurs de ce livre étaient satisfaits de ce qu'ils y trouvaient. A leur goût, ils en avaient pour leur argent.

McGrady aurait pu continuer cette intoxication littéraire très longtemps, et inspirer une série de livres et films à succès.

Le fait qu'il s'agisse d'un canular new-yorkais ne saurait servir d'argument à une quelconque prétention française : en matière de littérature de gare ou de mauvais goût, les Américains n'ont rien à nous apprendre.

Dans son roman "la petite marchande de prose", Daniel Pennac a créé le personnage d'un romancier à la mode, auteur d'aventures dans le monde de la finance, dont il s'amuse par endroits à citer les extraits imaginaires. Extraits dans lesquels j'ai cru reconnaître un pastiche féroce de Paul-Loup Sullitzer. C'est assez savoureux.

Il va sans dire que Paul-Loup Sullitzer n'est pas le pire de nos fabricants de best-seller, ni d'ailleurs le plus vendu.

La version française de "L'inconnu(e) était nu(e)" reste donc à écrire.


Edité le 19-09-2008 à 10:18:34 par Pierma


Audrey
   Posté le 19-09-2008 à 23:29:14   

Pierma a écrit :

La version française de "L'inconnu(e) était nu(e)" reste donc à écrire.

Un volontaire dans la salle ?

Merci, Pierma, d'avoir apporté ce thème, très instructif, sur une facette de la littérature que l'on aborde peu.
ThunderLord
   Posté le 22-09-2008 à 23:14:11   

La mauvaise littérature se vendant bien ? Quelle surprise ! Et encore on n'a pas abordé le sujet des biographies de starlettes fadissimes écrites avec les pieds par des singes papous bègues...