Sujet :

Anachronique

ThunderLord
   Posté le 04-03-2007 à 17:26:00   

Salut tout le monde

Bon, puisque, grâce aux enturbannés de première d'Orange, je ne peux pas passer souvent, je vais vous donner un peu de lecture : ce n'est pas excellent, c'est une petit histoire que j'ai écrite il y a deux ou trois ans.

C'est sans doute trop court pour être appelé une nouvelle, alors je ne sais pas comment la qualifier ; de même ce fut écrit assez vite, sans volonté à l'origine d'en faire quoi que ce soit, sinon jeter sur le papier une idée qui m'a traversé la tête. A vous de me dire ce que vous en pensez^^

Citation :

Monsieur vit seul. Il n’a pas d’enfants ; il les aime bien mais n’en veut pas, ou tout du moins ne veut pas en faire. Il n’a jamais été marié, ou s’il l’a été, lui seul le sait, et il n’en parle pas. Il ne parle pas beaucoup d’ailleurs, sauf si on lui adresse la parole, mais ses réponses sont alors si étranges et dérangeantes qu’on ne recommence pas volontiers.

Comment est-il ? Maigre, comme un vieux clou. Plutot vieux, soixante ans peut-être. Et bizarre avec ça ! Toujours à se faire remarquer, avec ses déguisements ridicules, sa politesse exagérée et son humour étrange, pas insultant, non, mais étrange. Dérangeant, comme le reste.

Il vit ici depuis des années, depuis toujours, pourrait-on penser. Pensez donc, ce vieux polichinelle était déjà là, dans ce vieil immeuble, dans ce quartier moisi, quand je suis arrivé, moi ! Il y a bien quinze ans de cela. Vous pensez sans doute qu’il devait être bien différent à l’époque, eh bien non ! Plus jeune, oui, plus énergique également, mais toujours aussi bizarre et dérangeant. Comme s’il ne voulait rien faire comme tout le monde.

Tenez, le voilà qui rentre ! Regardez-le : avec son costume noir mao (il n’aime pas les cravates), impecccable, ses souliers cirés, ses gants et sa canne de marche. Oui, une canne ! A cinquante ans, il n’en a pas besoin, il ne boite pas ni rien, c’est un style, et ça a été à la mode, il paraît. Avant ou après le déluge, qui sait ? Pas lui, en tous cas ! Il fait ça pour enquiquinner le monde, à vouloir être différent et se moquer de tout, comme s’il savait des choses qu’on ne sait pas, nous autres gens normaux. Il fait tout comme ça : il s’habille bizarrement, il parle bizarrement, il vit bizarrement... Presque comme un, comment on appele ça, un ermite ? Oui, c’est ça ! Il ne sort que pour faire ses courses et sortir se promener, avec sa canne et tout, enlevant son chapeau chaque fois qu’il croise une dame et souriant à tous les enfants. Oh, pas comme un pervers, non ! Pas dans notre quartier, merci. Non, c’est simplement qu’il ne veut pas vivre comme tout le monde, il veut nous montrer qu’il est différent, faire de l’épate ou quelque chose comme ça.

Il est pas méchant, mais personne ne l’aime ici. Mais c’est pas à moi que vous devriez demander, demandez plutot au monsieur du cinquième, un monsieur bien comme il faut, lui, qui travaille dur, tout le temps, et qui a parlé à Monsieur une fois ou deux. Ah, de temps en temps, quand Monsieur n’est pas là, il l’imite, pour nous faire rire, ou pour se moquer, allez savoir ; mais il l’imite bien, en tous cas. Seulement lui, quand il n’imite pas, c’est un homme normal, qui travaille dur et tout, avec une femme et deux enfants. Lui au moins ne sera pas tout seul, à cinquante ans, à parler comme un homme du moyen âge pour se faire remarquer.

Bref, il a trouvé un beau surnom pour Monsieur : il l’appelle “ce Dorian Gray famélique”. Je sais pas qui c’est, Dorian Gray, un américain ou quelque chose comme ça. Ils sont tous fous, ces gens-là, alors le surnom est bien trouvé, vous ne croyez pas ? En tous cas, si Monsieur est fou, c’est un fou inoffensif, un gentil fou, quoi. De toute manière, il ne faut pas être très intelligent pour vivre comme ça et tout. Vous savez quoi ? Il n’a même pas d’aspirateur, ni de télé, rien ! Il trouve plus pratique de balayer, et n’a pas besoin d’aide pour penser, qu’il dit. Rien que ça, c’est pas normal, pas vrai ? Remarque, il dit peut-être ça pour ne pas avouer qu’il ne peut pas s’en acheter, mais pas besoin de mentir, pas vrai ? Il préfère passer pour un original... Il est peut-être trop pauvre pour acheter une télévision, oui. D’ailleurs, regardez-le bien : maigre comme un clou, que je vous dis. Ca veut dire ça, “famélique” : maigre comme un clou. On dirait qu’il n’a pas fait un bon repas depuis des années. Mais ça ne le dérange pas, et à côté il s’achète des cigares et boit du bon vin : donc il est pas si pauvre... Le costume ne compte pas, c’est lui qui se l’est fait. Oui, il était tailleur avant, il paraît, enfin c’est ce qu’il a dit une fois, au monsieur du cinquième. Maintenant il doit être à la retraite, car on ne le voit presque jamais sortir pour autre chose que ses promenades. Qui durent longtemps pour des promenades, d’ailleurs, mais c’est pas méchant. Je l’imagine parfois, tout seul chez lui, il doit vivre tout le temps dans son costume, avec son chapeau, seul dans son appartement du troisième, sans télé ni rien. Il passe surement beaucoup de temps à lire, ou en tous cas il a plein de bouquins, j’ai vu comment c’était chez lui, une fois, il avait mal fermé sa porte et je suis entré deux secondes pour lui dire, mais il était pas là, sorti promener sans doute. Ben, croyez-moi si vous voulez, mais son appartement est comme lui : tout de l’épate, rien comme tout le monde ! La porte d’entrée donne directement sur le salon, alors j’ai bien vu : il a une immense bibliothèque remplie de vieux bouquins qui doivent sentir le moisi, un grand fauteuil en cuir marron, un petit bar, un table basse avec des cigares dans une boîte et une toile au mur, une toile avec un vieux bateau, ceux à voiles avec des cordes de partout, j’ai bien vu. Et un tourne-disques qui ressemble à une trompette, les vieux, là. C’est là-dessus qu’il écoute sa musique, je pense : que du classique qu’il écoute. Mais en plus de ça, rien ! Pas de canapé, pas de télé, pas de magazines... On se serait cru dans la vieille série, Sherlock Holmes, avec les vieux salons anglais et tout ça. C’est désolant de voir ça.

Oui, je sais ce que vous allez dire : peut-être qu’il aime vivre comme ça. Eh ben non ! C’est pas possible, de vivre comme ça tout seul, sans avoir personne à qui parler, pas de radio à écouter... Trois pièces pour lui tout seul, pas de famille ni d’amis, rien ! Et à côté quand il sort, toujours à parler comme un ministre, avec des mots que personne n’utilise depuis des siècles, et son petit sourire ironique, comme s’il se moquait de tout. C’est pas comme ça qu’il va rencontrer des gens ! S’il était comme tout le monde, je dis pas, il pourrait être sympathique, grand comme il est, avec ses beaux cheveux blancs. Mais pas tant qu’il sera bizarre comme ça : faut vivre avec son temps, ça sert à rien d’essayer d’être différent pour se faire remarquer. Et en plus, même chez lui il fait semblant ! On le voit par sa fenêtre, à lire dans son fauteuil avec un cigare à la main et un verre de vin sur la table, comme si il n’avait que ça à faire ! Il doit s’ennuyer, et on lui dit : Monsieur, il faut sortir, voir du monde, se faire des amis, mais il répond toujours “des gens ? Mais ils sont tous pareils ! Quand on en connaît un, on les connaît tous !”. Quoi qu’il veuille dire par là, d’ailleurs. En fait, parfois je pense qu’il n’aime rien : ni les gens, ni le monde, ni rien.

Les enfants il les aime bien par contre, et ils l’aiment bien eux aussi ; vous savez que parfois il joue carrément au sable avec eux ? Oui, avec sa canne et tout, il s’amuse avec eux, ils rient et ils font des chateaux de sable, lui avec ses gants et tout ! Une fois il a joué comme ça avec le fils du monsieur du cinquième, qu’avait peut-être cinq ans à l’époque ; qu’est-ce-qu’ils riaient en faisant des patés tous les deux ! On ne voit pas Monsieur sourire souvent, je peux vous le dire, mais quand ça lui arrive, ça le transforme carrément, et on se dit qu’il a du être bel homme, avant de devenir comme ça, avec son regard triste et tout. Toujours est-il que le monsieur du cinquième est arrivé, et quand il a vu son fils jouer avec “ce Dorian Gray famélique”, il a piqué une colère, a giflé le gamin et l’a renvoyé à la maison, puis a menacé Monsieur en agitant son doigt sous son nez ; Monsieur est resté très calme, mais j’aurais pas aimé être là s’il s’était fâché ; en tous cas il a écouté le père du môme jusqu’au bout, et à la fin il a répondu, juste quelques mots ou une courte phrase ; j’ai cru que le père allait devenir fou, exploser ou le gifler, mais si j’avais été à sa place je n’aurais surtout pas fait ça : vous savez bien ce qu’on dit sur les gens qui sont toujours trop calmes ! Enfin le père est rentré chez lui en l’insultant de vieux hibou, d’enquiquinneur et d’anormal, et Monsieur est resté au milieu de la cour, appuyé sur sa canne avec son air triste que ça en faisait mal au coeur. Je lui ai demandé ce qui s’était passé, vous pensez bien ! Je suis concierge de l’immeuble depuis quinze ans, faut bien que je sache si quelque chose va pas ; Monsieur m’a répondu tristement qu’étant un dinosaure, un hibou et un anormal il n’avait maintenant plus le droit de jouer avec les enfants ; là-dessus il a ajouté que les enfants étaient bien plus humains que les adultes, puis il est remonté chez lui, tristement. Ce jour-là j’ai pas compris le monsieur du cinquième, qu’est un monsieur très bien, parce qu’après tout Monsieur n’allait pas lui faire de mal à son fils, et même s’il n’est pas comme tout le monde, il n’est pas méchant ! Bon d’accord, il est bizarre, il ne fait rien comme tout le monde, comme s’il vivait dans un autre siècle, mais sinon il est gentil ! Toujours poli, prêt à rendre service, toujours à se découvrir quand une femme lui dit bonjour, à vous laisser le passage dans l’escalier, et tout !

Mais monsieur Guignard, le monsieur du cinquième je veux dire, il dit à tout le monde que Monsieur est un misanthrope, un vieux fou qui se croit au moyen age, qui refuse de vivre comme tout le monde ; là-dessus Monsieur répond qu’au contraire, il veut pouvoir vivre tout court, et là-dessus le monsieur du cinquième qui se met à crier et Monsieur qui lui dit poliment bonsoir avant de lui claquer sa porte au nez ! D’habitude c’est un immeuble très calme, mais ce jour-là, quel raffut ! Bon d’accord, si Monsieur voulait bien vivre comme tout le monde au lieu de rester dans son coin avec son air triste et sa canne, y’aurait pas de problême, mais faut faire avec ! Quand même y’a des jours où je me dis que sans Monsieur, ce serait bien plus calme ici. Non pas que je lui veuille du mal, hein ! Mais bon...


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Aujourd’hui un vieil original, monsieur G., est mort, seul, dans son petit appartement du IVème arrondissement. La concierge a appelé la police quand elle s’est aperçue que Monsieur ne répondait pas à la sonnette, chose qu’il ne faisait jamais. Monsieur G. n’avait apparemment ni famille, ni amis, un sexagénaire sans problèmes, tailleur à la retraite vivant sur sa pension, solitaire.

L’enterrement aura lieu demain après-midi ; personne n’y assistera, personne ne viendra se recueillir sur sa tombe ; il ne laissera rien ni personne derrière lui. Rien qu’un parfum de regrets.
Audrey
   Posté le 05-03-2007 à 01:15:23   

Perso, j'aime beaucoup ton texte, Thunder.
Le portrait de ce personnage solitaire est plaisant ...et réaliste !
N'as-tu pas songé à intégrer ces lignes dans une nouvelle ?
Car tu as une "belle plume" !!

La triste fin rappelle des événements récents (et de plus en plus fréquents, malheureusement ) de décès dans la solitude totale.


As-tu d'autres écrits à nous faire partager, Thunder ?
ThunderLord
   Posté le 10-03-2007 à 16:26:10   

Rien qui soit fini

Bon, perso j'ai mis cette nouvelle pour faire "bouger" un peu cette section, mais il faut avouer que, l'ayant relu juste avant de la poster, j'ai regretté amèrement de ne pas avoir eu le temps de la réécrire de fond en comble, je trouve le style comme le traitement assez immature, si ce n'est maladroit.
Arielle
   Posté le 13-03-2007 à 14:21:20   

J'aime beaucoup, et la description de son appartement m'a vraiment fait penser à un épisode de Sherlock Holmes.
En tout cas, chapeau bas, mister !