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8 mai 1945 - l'Allemagne capitule

Pierma
   Posté le 10-05-2008 à 11:46:34   

Capitulation allemande à Reims : 7 mai 1945


Depuis une semaine les rumeurs de paix imminente courent l'Europe. Les Russes ont pris Berlin le 2 mai. Le quartier général de Dönitz - amiral en chef et successeur officiel d'Hitler - à Flensburg, près de Hambourg, se trouve maintenant sous occupation anglaise. Le batiment est gardé par des sentinelles allemandes et le drapeau à croix gammé flotte sur les batiments du "gouvernement" du Reich, ou de ce qu'il en reste.

Le 5 mai, Eisenhower a demandé que Dönitz lui envoie ses représentants. On lui envoie donc Jodl, chef d'état-major pour le front Ouest. Eisenhower découvre qu'il ne sont pas agréés pour signer une capitulation complète.


Arrivée de Jodl à Reims.


En fait, Dönitz lanterne les Alliés pour permettre à un maximum de soldats allemands d'échapper à la captivité en Russie. Eisenhower se fache et annonce que dans 48h00 il fera fermer les lignes alliées et donnera l'ordre de tirer sur toute unité allemande, drapeau blanc ou pas. Américains et anglais ne comprennent pas cette réticence à rendre les armes aux Soviétiques.

Dönitz a gagné un délai de deux jours. 1,5 millions de combattants allemands qui se battent en Autriche et en Tchécoslovaquie pourront forcer le passage, rejoindre les lignes américaines et se rendre. En Yougoslavie, le groupe d'armée du général Lohr retraite en bon ordre pour ne pas avoir à se rendre aux partisans yougoslaves.

Le 7 mai vers 13h00, la capitulation est signée dans les locaux du lycée de Reims où Eisenhower a établi son quartier général. Cérémonie sans apparat, malgré la présence de 19 correspondants de presse et des caméras. Eisenhower délègue son adjoint pour signer : il refuse de traiter directement avec les généraux allemands, et ne se fera photographier qu'après leur sortie. Le général Sousloparov, attaché aérien au QG de Reims, a accepté de signer pour l'Union Soviétique - il s'en faudra de peu que Staline le fasse fusiller pour cette malheureuse initiative.

Il est convenu que les hostilités cesseront à compter du 8 mai 00h00, heure allemande. (01h00 GMT) La nouvelle doit rester secrète jusqu'à la signature de la reddition allemande auprès des Russes, pour laquelle Eisenhower garde les généraux allemands en attendant le départ vers Berlin.

Les Français étaient présents à la capitulation de Reims, représentés par le général Sevez, adjoint de De Lattre. Il ne semble pas que Roosevelt ait exclu leur participation. De toute façon il y a belle lurette que Eisenhower "interprète" les ordres de Washington concernant De Gaulle et la France Libre. Roosevelt est décédé le 20 avril précédent, il n'aura malheureusement pas vu la défaite nazie.


Après la signature, dans le bureau d'Eisenhower.


Par contre la participation française à la signature de Berlin n'est pas envisagée. On peut compter sur De Gaulle pour faire rectifier cet oubli.

Les journalistes ont des instructions : le grand public ne doit rien savoir tant que la capitulation avec les Russes n'est pas signée. On se demande qui a pu s'imaginer qu'une nouvelle pareille allait rester secrète.

A 15h00 un correspondant de l'Associated Press émet une dépêche officielle vers New-York. En quelques minutes la ville entre en folie. La foule envahit les avenues de Manhattan. Dans les étages, les secrétaires déchirent et jettent par les fenêtres tout le papier qui leur tombe sous la main. La nouvelle fait le tour du monde et les mêmes scènes de joie se déroulent dans toutes les capitales de l'Europe occidentale.

Pour tous les occidentaux, ce 7 mai au soir est celui de la fête. A Moscou, il ne se passe rien : la nouvelle n'a pas été diffusée et les villes soviétiques gardent le visage des jours de guerre.

L'Associated Press a estimé que la nouvelle était officielle dès l'instant où elle avait été diffusée par la radio allemande. En effet, Dönitz n'a rien trouvé de plus intelligent que de faire annoncer une capitulation séparée de l'Allemagne avec les alliés occidentaux. (excluant les Russes) De plus les armées allemandes à l'Est refusent de cesser le combat et continuent à rejoindre les armées américaines et françaises.

Pour tout arranger, on découvre que le document signé à Reims n'est pas celui qui était convenu entre alliés, mais un vieux document antérieur rédigé par l'adjoint d'Eisenhower. Staline pique une crise épouvantable et accuse les occidentaux de traiter dans son dos avec les Allemands : c'était sa hantise permanente.

A Reims c'est la panique. Washington téléphone et demande des explications. On met deux heures à retrouver le document officiel, que l'adjoint d'Eisenhower avait laissé dans son bureau. "Vous parlez de ce document à couverture bleue ?"

Le capitaine Georges Bailey, traducteur officiel, est chargé de courir à Paris pour essayer de trouver une machine à écrire en caractères cyrilliques, et d'en ramener 12 copies à Reims pour le lendemain 10 heures, le moment où les délégués doivent décoller pour Berlin.

Le malheureux met 5 heures pour arriver à la délégation commerciale russe au centre de Paris : dans les rues de Paris en folie, sa jeep progresse au pas dans la foule, sous les applaudissements et les baisers. Evidemment la légation commerciale russe est déserte : les Russes installés à Paris sont allés arroser l'événement.

A minuit ce 7 mai, le général Bradley, qui commande en Allemagne, note sur son journal : 8 mai - VE Day (Jour de la Victoire en Europe)
Puis il ouvre les rideaux de sa chambre et pour la première fois laisse la lumière éclairer la campagne allemande. Dans toutes les villes du front les soldats alliés mettent fin au black-out et les fenêtres des maisons s'illuminent.

Au début août 1914, le premier ministre anglais, quittant Wesminster après la déclaration de guerre avait dit : " Les lumières vont s'éteindre dans toute l'Europe et notre génération ne les verra pas se rallumer."
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A suivre : la beuverie mémorable des généraux alliés à Berlin, et un aperçu de l'état de l'Allemagne à "l'heure Zéro".


Edité le 10-05-2008 à 11:55:26 par Pierma


Audrey
   Posté le 11-05-2008 à 02:47:00   

Un grand merci, Pierma, pour cet article et la mise en lumière de cette date si particulière.
Pierma
   Posté le 11-05-2008 à 14:22:55   

Capitulation à Berlin - 9 mai 1945


Le 8 mai à 10h30 trois avions de transport décollent de Reims en direction de Berlin. Ils sont rejoints en route par l’avion du général De Lattre, puis escortés par des chasseurs soviétiques à l’approche de Berlin.

Les quatre délégations – américains, anglais, français et allemands - atterrissent à Tempelhof, et traversent Berlin en ruines pour gagner le quartier général de Joukov à Karlshorst, dans la banlieue. Les généraux alliés sont effarés par l’état de la ville, en particulier l’Air Marshall Tedder, commandant la RAF, qui n’imaginait pas que les bombardements aient pu provoquer autant de destruction. (Aucun des grands chefs anglais du bombardement ne sera promu ou décoré à l’issue de la guerre.)


Les ruines de Magdebourg - une ville de Saxe

Le général Sousloparov, qui a eu le tort de signer la capitulation de Reims, est escamoté par le NKVD (l’ancien KGB) à sa descente d’avion. Seules les demandes répétées sur son sort de la part des officiels occidentaux lui éviteront d’être fusillé.

La signature officielle commence à 23h30 – 00h30 le 9 mai pour les Russes - dans une salle magnifiquement décorée par les Soviétiques, qui veulent marquer qu’il s’agit là de la VRAIE capitulation allemande. Keitel, Jodl et Friedeburg signent pour l’Allemagne. Le maréchal Keitel sursaute à la vue de la délégation française : « Il ne manquait plus que ceux-là ! » Après la cérémonie, on leur sert un repas correct, puis Keitel et Jodl sont expédiés à Nuremberg.

Les généraux des 4 nations victorieuses ont droit à un banquet monumental, accompagné par un orchestre militaire qui joue les hymnes nationaux. Le repas commence par les toasts portés à la victoire, à l’amitié pour l’Amérique, l’Angleterre, aux camarades Staline, Churchill, Roosevelt, à chacun des généraux présents, à l’Armée Rouge victorieuse… bref, 28 toasts à la vodka, qui constituent un apéritif sérieux, scandés par le mortel « do dna !» - cul sec ! Caviar de la Caspienne, saumon fumé, zakouskis, on arrose au champagne des discours que les traducteurs éprouvent quelques difficultés à saisir. L’élite militaire mondiale s’offre une cuite historique à tous points de vue. On doit évacuer - en les portant - quelques généraux soviétiques inconscients. Vers 5 heures du matin les musiciens de l’orchestre, qui ont participé à la joie générale, capitulent à leur tour dans une cacophonie surprenante. L’officier d’ordonnance du général De Lattre a pris la précaution de limiter sa propre consommation. Il peut ainsi ramener sur ses jambes un chef très éprouvé, mais qui a su tenir jusqu’au bout.


Le banquet de la victoire - à droite, le maréchal De Lattre


Les lendemains de victoire n’échapperont pas à la gueule de bois : les rencontres suivantes entre généraux des 4 nations auront lieu dans le cadre du Conseil Quadripartite supposé organiser le gouvernement militaire commun de l’Allemagne. Elles ne donneront jamais rien et chacun administrera comme il l’entend sa propre zone d’occupation.

A Moscou la population est informée par hauts parleurs le 9 mai au matin. (Les postes radios ont été confisqués au début de la guerre) Deux à trois millions de moscovites fous de joie se répandent dans les rues. La foule se presse devant les ambassades anglaises et américaines. On embrasse les gardes, les ambassadeurs sont acclamés. Dans l’après-midi, un millier de canons alignés sur les bords de la Moskova tirent 33 salves de victoire. Une centaine d’orchestres s’installent sur toutes les places de la ville. Après le survol de la ville par plusieurs centaines d’avions de guerre, un feu d’artifice gigantesque met fin à cette journée mémorable.

Les Russes qui crient leur joie vont bientôt constater que le stalinisme n’a pas désarmé. Cela commencera par la fermeture des églises, réouvertes pendant la guerre. Les religieux prennent le chemin des camps. A la prison de la Loubianka, un détenu songe avec amertume que la fête n’est pas pour lui. Fait prisonnier par les Allemands puis évadé, il a été enfermé pour trahison. Il s’appelle Alexandre Soljenytsine.


Berlin : le monument de l'Armée Rouge

Construit dès le 7 novembre 1945, les Berlinois le baptisent : "le monument au pillard inconnu."